Rencontre avec Pierre Gagnaire

29 mai 2015

Créativité débridée, harmonie visuelle, « Poète des fourneaux », le Chef Pierre Gagnaire ne connaît pas de limites ! Assiettes Gourmandes nous permet de rencontrer ce Chef atypique aux multiples talents et d’en savoir un peu plus sur sa personnalité.

e93dbebcfa6f4_1-airel-saveurs-pg-1600-1

Assiettes Gourmandes : Pierre Gagnaire, vous êtes un grand nom de la Gastronomie française, pourtant on sait que vous n’avez pas vraiment choisi ce métier de cuisinier, on peut parler de « vocation forcée » ; pouvez-vous rapidement nous raconter les grandes lignes de votre histoire ?

Pierre Gagnaire : C’est vrai que je ne me suis pas orienté vers les métiers de la restauration par choix.
Je suis entré en apprentissage à 15 ans dans un restaurant à Lyon où je suis resté 4 – 5 ans .
J’ai ensuite eu la chance de faire mon Service militaire dans la Marine, cela m’a beaucoup marqué et a été un moment important de ma vie, et là on ne peut pas dire que je sois vraiment passionné de cuisine. Puis je suis monté à Paris pendant quelques années où j’ai travaillé dans plusieurs établissements (Lucas Carton, Inter Continental…).
En 1976, j‘ai pris une place de Chef à La Bastide de Tourtour puis en 1977 je suis rentré au Clos Fleuri, le restaurant familial où mon père officiait. Là, je plonge dans l’histoire en me disant « tu vas essayer de faire quelques chose du métier que tu n’as pas choisi ». Mais je suis obligé de régler quelques problèmes avec ma famille, j’ai des contraintes imposées, une liberté contrôlée qui ne me convenait pas du tout.
J’ai donc créé mon entreprise en 1981, j’ai rapidement été repéré par les guides et en 1993 j’avais 3 étoiles. En 1996, j’ai déposé le bilan – volontairement – c’est moi qui ai décidé de me faire « exploser ». Six mois plus tard je suis arrivé à Paris avec quelque chose qui me convenait et j’ai regagné mes étoiles assez vite.
En 2004, j’ai créé un 1er projet à Londres, un 2ème au Japon en 2006 puis un 3ème, puis un 4ème… les affaires se sont accélérées, et voilà !

AG : Et vous êtes devenu le Grand Monsieur Gagnaire que tout le monde connaît !

PG : En tous cas je n’ai pas changé, je suis resté le même et je me rends compte que la confiance des gens ça se gagne tous les jours, on ne peut pas tricher avec ça, il faut travailler.

AG : Y a-t-il un Chef – ou plusieurs – qui vous ont marqué au cours de votre carrière ?

PG : Frédy Girardet, Alain Chapel, et aussi Paul Bocuse qui est un sacré bonhomme !

AG : Un événement marquant ?

PG : La reconnaissance une nouvelle fois des Guides : Gault et Millau a été un sacré supporter pour moi, et puis Michelin a été malgré tout formidablement amical ; ils ont gardé confiance en moi malgré des pressions extérieures, et en 1998 mes 3 macarons sont revenus. Et là je leur en sais vraiment gré car c’est à ce moment-là que j’ai retrouvé ma dignité de cuisinier et par conséquent ma dignité d’Homme.

AG : Dans les années 2000, vous rencontrez Hervé This, physico-chimiste à l’INRA ; pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette rencontre et la collaboration qui a suivi ?

PG : Avec Hervé c’est une vraie histoire d’amitié, le reste c’est le surplus, le jeu, le plaisir de travailler ensemble ; mais Hervé n’est pas mon gourou, c’est quelqu’un qui m’oblige à réfléchir dans des domaines que je n’explorerais pas spontanément sans lui.

AG : On vous a également associé à une époque à la « Gastronomie moléculaire », la technique au service de la cuisine, alors la cuisine est-ce de la science, de l’Art, un mélange des 2…. ?

PG : Oui, mais tout ça c’est parce que j’étais ami avec Hervé… et c’était un peu entretenu par Hervé d’ailleurs, je suis dans un autre registre.
La cuisine c’est avant tout de l’Amour, de l’Art, de la technique, l’envie de faire plaisir, de donner et d’offrir.

AG : À Paris , on parle souvent de votre restaurant rue Balzac, mais vous avez aussi une autre adresse Rive gauche, spécialisée dans les poissons ?

PG : Oui, c’est le Gaya que j’ai ouvert il y a 10 ans.
Le Gaya, ce n’est ni une succursale, ni un second petit Gagnaire, c’est une adresse avec une cuisine différente, une autre facette pour exprimer ma cuisine ; ce n’est pas un bistro, c’est un restaurant de légumes et de poissons, une vraie « bonne affaire » pour le client car on ne sert que des poissons sauvages et des produits de 1ère qualité.
C’est un tout petit lieu, mais un vrai exercice très compliqué à gérer sur le plan économique, avec des super produits.

AG : On vous qualifie souvent de Poète, d’Artiste… ces qualificatifs vous correspondent-ils ?

PG : Depuis le temps qu’on le dit, ça doit être vrai… [rires]

AG : Comment qualifiez-vous votre cuisine ?

PG : Je pense qu’elle est honnête.

AG : Y a-t-il un plat de votre enfance qui vous a marqué ?

PG : Non… peut-être la tartine de chocolat de ma grand-mère le matin, mais je n’étais pas gourmand à la base.

AG : Quels sont vos ingrédients favoris ?

PG : Tout m’intéresse.

AG : Êtes-vous plutôt bec salé ou bec sucré ?

PG : Les 2… En fonction de mon humeur… d’où le livre que j’ai écrit « Sucré salé » .

AG : Un plat tout simple qui vous fait craquer ?

PG : ça dépend vraiment du moment, mais cela peut être une salade d’endives, une bonne ganache au chocolat avec du rhum, des huîtres, une blanquette de veau, une belle tranche de pain avec du Comté, du jambon cru… La gourmandise dépend beaucoup du moment.

AG : Si vous deviez partir sur une île déserte, quel instrument de cuisine emmèneriez-vous ?

PG : Ce que j’ai actuellement, un crayon, une gomme et un taille crayon. Ce ne sont pas vraiment des instruments de cuisine mais ce sont mes outils pour créer. La cuisine je la rêve ; pour la rêver je l’écris, je l’efface, je la réécris, d’où le crayon et la gomme… et le taille crayon parce que ça doit être très affuté !

AG : Qui cuisine chez vous ?

PG : Je suis malheureusement très très peu chez moi ; quand je suis en vacances c’est plutôt moi qui cuisine.

AG : Véritable globe-trotter, avez-vous une destination, un pays préféré qui l’emporte, et pourquoi ?

PG : Non… pas de destination favorite. Je crois que j’aime la France, j’aime être français et j’en suis fier.

AG : Pour terminer, auriez-vous une petite astuce de cuisine, un conseil à partager avec nos lecteurs ?

PG : Deux petites astuces que je tiens d’Hervé This :
Quand vous faites un pot au feu, ou une pièce de bœuf, pour empêcher le grain de sel de fondre, il faut l’enrober d’un tout petit peu d’huile d’olive. Lorsque vous le poserez sur votre élément chaud, le sel ne va pas fondre car c’est la pellicule de gras qui va le protéger.
Une autre astuce que je pratique depuis que je connais Hervé : dans les recettes, on dit toujours « saler poivrer », ça n’a pas de sens, le poivre c’est comme le thé, c’est un produit vivant. Il faut toujours mettre le poivre à la fin, juste avant de servir pour qu’il garde bien sa fraîcheur, sa saveur et son piquant.

AG : Pierre Gagnaire, je vous remercie infiniment ; nous nous sommes rencontrés plusieurs fois à Paris, vous me rappelez de Dubaï afin de réaliser cette interview, avez-vous un message, une phrase que vous souhaitez transmettre en conclusion ?

PG : Le travail bien fait apporte un bonheur absolument incomparable et le travail est source de tout !

Encore mille mercis à Pierre Gagnaire pour cet échange à distance, j’espère que les lecteurs prendront autant de plaisir à le lire que moi à l’interviewer 😉
Quelques exemples de repas chez Pierre Gagnaire à Paris : repas en 2015, repas en 2014

Source : La Gazette du Chef
Crédit photo:© Jacques Gavard