Créateur de Dinner in the Sky, David Ghysels est l’homme qui envoie le plus de chefs dans les étoiles. Pas moins d’une trentaine de chefs étoilés cuisineront sur Dinner in the Sky en Belgique cette année et son concept sera présent dans 70 pays. Aussi directeur de l’agence de communication spécialisée en food ‘Hakuna-Matata’, il oeuvre pour des marques telles S.Pellegrino, Vittel, les vins des Côtes du Rhône, Mövenpick ou Visit Brussels, parmi d’autres.
Alors, David Ghysels, dites-nous…
Un plat ?
La potée savoyarde. Ca me ramène aux montagnes. Cette cocotte en fonte qu’on dépose sur la table, soulever le couvercle, tous ces parfums qui explosent. C’est magnifique.
Un produit ?
Les petits pois frais. Et surtout, les écosser! A la maison, quand j’invite des gens qui ne se connaissent pas forcément, je me suis déjà amusé à déposer des sacs de petits pois sur la table et à l’apéro, mes convives les écossent. Je vous assure que le repas n’est plus le même. Ca crée un lien entre eux. Et puis, ça montre la fraîcheur du produit, ça renvoie en enfance. Ca provoque quelque chose.
Une matière ?
Ma Femme, Nathalie!… (Rires)
L’endroit où vous aimez aller manger ?
Hier soir, j’étais au Crab Club près de la porte de Hal à Bruxelles, j’adore! On oublie souvent une chose, et particulièrement dans notre métier : aller au restaurant, c’est faire la fête, pas simplement se nourrir, c’est se faire plaisir. Et je trouve que la cuisine de Yoth Ondara au Crab Club, c’est du plaisir total. Le Crab Club, c’est une cuisine où la surprise est permanente, je découvre des choses et je m’y sens bien. C’est simple, c’est du produit, sans chichis.
Le cuisinier qui vous impressionne le plus ?
Mon beau-frère. Il est cambodgien d’origine, issu de la famille royale cambodgienne, il a une de ces gestuelle quand il cuisine! Quand je regarde ses mains, ses longs doigts, la manière dont il prépare ses poulardes, etc. Je connais plein de bons cuisiniers, je pense que je sais cuisiner un peu mais lui, il est carrément incroyable. La façon dont il prépare ses mets, tout a l’air si spontané, si intuitif, si beau. Il me régale par exemple de son poulet patte noire aux morilles.
Maintenant, si je dois citer un cuisinier connu, je dirais Michel Troisgros. J’y vais au moins une fois par an. La cuisine de Michel Troisgros, elle est juste magnifique. De la grande cuisine! Et des détails, des choses incroyables pour un 3 étoiles : les sets de table sont en papier, la vaisselle toute à l’identique est blanche du début à la fin, le pain est une bonne brioche posée sur la table.
L’endroit où vous vous sentez bien ?
Je me sens bien en cuisine. Je pense que l’on se sent particulièrement bien dans les endroits qui nous ramènent à l’enfance. Je me sens bien quand je suis à la ferme avec Madame Ruaud, à Lol, en Dordogne. A écosser mes petits pois, mes fèves des marais ou mes haricots blancs avec elle, autour de sa grande table, avec la toile cirée, avec l’odeur de la cheminée, ses casseroles qui bouillent.
On trouve quoi toujours dans votre frigo à la maison ?
Du chorizo. Parce que je m’en sers pour tout : ça peut relever un plat, ça peut servir à l’apéro. Et toujours une bouteille de Côtes du Rhône blanc. J’adore les vins du Rhône. Pascal Devalkeneer (ndlr : Chef du Chalet de la Forêt**) m’a fait découvrir Georges Vernay et ses « Terrasses de l’Empire », un Condrieu exceptionnel. Mais il fait aussi un viognier de base plus abordable que l’on trouve chez Etiquette par exemple. C’est tout bon.
Votre première émotion culinaire ?
C’est la tarte Tatin chez Madame Auguste. Madame Auguste, c’est improbable. C’était à Lyon-en Forêt en Normandie, l’endroit où nous allions en vacances avec mes parents, dans une petite maison qu’une amie de la famille nous prêtait. Je pense que l’endroit s’appelait l’Hôtel de la Poste, c’était le restaurant où l’on allait téléphoner. Souvent, on y mangeait un petit bout et elle nous faisait sa tarte Tatin. Alors, une tarte Tatin, tu peux en avoir dix mille mais une pareille, ça relève du tour de force. Tout était sublime. Mes frères et moi avons la même marotte et on a essayé de la retrouver, mais elle n’existe plus.
Quelle place à la cuisine dans votre vie ?
Centrale! Elle est partout! Au bureau, je ne travaille que pour ça. Je passe aussi mon temps au Marché des Chefs, je passe mon temps chez le légumier Rhino, je passe mon temps à discuter avec des marchands de vins, je cuisine à la maison. Tous les projets dont je parle avec les copains, ça touche les restaurants, les tables d’hôtes. Et pourquoi ? Parce que la table pour la table et la cuisine pour la cuisine, ça ne m’amuse pas. Ce que j’aime dans la cuisine, c’est réunir les copains autour de la table. Mon moteur, c’est d’exceller dans l’art de faire plaisir. C’est peut-être un peu prétentieux mais j’adore faire plaisir. Et la table est un moyen fabuleux pour rassembler et faire plaisir aux gens.
Quelque chose que vous n’avez jamais dit à propos votre métier ?
Que cette grande aventure de Dinner in the Sky n’aurait jamais dû exister.
Ce devait être un one shot. Ce truc, on l’a fait une fois, on voulait le faire pour créer un événement unique pour les ‘Jeunes Restaurateurs d’Europe’ et puis c’était fini. Beaucoup pensent, et c’est souvent une erreur, qu’on « lance » des business. Non, on ne lance pas un business. Un jour, on réalise quelque chose et la chance sourit, les étoiles se mettent bien en ligne, on travaille beaucoup derrière et ça évolue. Et on le gère en fonction de ses propres valeurs et pas d’un business plan que l’on a écrit avant, on le gère en fonction de ses sentiments, en prenant ses décisions. Et les choses se mettent. Et pour Dinner in the Sky, les choses se sont bien mises, il y eu de bonnes fées, comme par exemple l’agence de presse Reuter et le magazine Forbes. Forbes qui nous a placé dans les 10 restaurants les plus extraordinaires au monde avec El Bulli et le Fat Duck… alors qu’on n’était pas un restaurant. Dingue! Et puis, il y a eu Alain Passard qui a été le premier grand chef à cuisiner sur Dinner in the Sky. Bref, il y a eu pas mal de chance. On voulait juste faire une table en l’air et une conférence de presse et puis c’est tout. Un one shot…
Alain Passard ?
A l’époque, j’ignorais qui était Alain Passard, je ne connaissais pas L’Arpège, son restaurant. Ce fût la deuxième étape de Dinner in the Sky : une société d’Amiens nous appelle pour savoir si on peut venir y faire le Dinner in the Sky là-bas et ils nous demandent s’ils peuvent amener leurs propres chefs. Et ils ont amené Alain Passard! Le premier jour, je l’ai vu et je suis allé le saluer en m’excusant de lui imposer de cuisiner dans un tel contexte. Il m’a répondu : »Mais c’est génial votre concept : tu es à poil, tu dois cuisiner pour 22 personnes, sans ta batterie… Tu dois juste faire plaisir ! » Et le type est arrivé avec sa camionnette, il n’avait fait aucune mise en place! Il est arrivé avec ses légumes, deux grils barbecue, une langouste et un bar qu’il a grillés. Ils étaient trois, son sommelier, une aide et lui et ils ont offert sept services. Et sept vrais services. Il a tout fait sur la table, sans se préparer.
Et le succès d’Amiens m’a ensuite ouvert les portes des grands chefs en France. Dans la foulée, on au eu le Dinner in the Sky à Paris, au jardin des Tuileries où l’on a réuni 10 chefs, 28 étoiles, ils étaient tous là : Yannick Alléno, Frédéric Anton, le chef de l’Elysée, à nouveau Alain Passard, Marc Veyrat, etc.
La ‘crasse’ pour laquelle vous succombez facilement ?
Le Napoléon, le bonbon Napoléon. J’adore! Je ne suis pas très bonbons mais celui-là avec le sûr qui arrive à la fin…
Un truc de cuisinier ?
Je remplace souvent le poivre par du piment d’Espelette. Je trouve que ça améliore le plat. Maintenant, je peux dire aussi, sans fanfaronner, que je fais toutes mes courses au Marché des Chefs. Je ne suis pas un cuisinier mais je prends juste les meilleurs produits. Je trouve que l’on a perdu la notion des meilleurs produits. Les gens ont certes leur référence en termes de produits de luxe – le champagne, le foie gras, le caviar, etc -, mais ils n’ont plus la référence de ce qu’est, de ce que coûte une vraie bonne côte de porc! Leur référence pour la côte de porc, comme pour la volaille et les oeufs, c’est la grande surface! Ce n’est pas ça le vrai produit.
Un vin ?
Le Condrieu. Les Terrasses de l’Empire, c’est extraordinaire. Et peut-être plus généralement, les crus des côtes du Rhône septentrionaux. Ce sont des vins que l’on mange. Autant parfois, du côté méridional, c’est un peu chaud, un peu fort. Autant là-haut, les Saint-Joseph, les Condrieu, les Côtes Rôties, le Saint-Peray… J’aime!
Vos musiques ?
« Que durent les moments doux! ». Bref, Bashung! Tout Bashung. Sinon, je suis aussi inconditionnel d’Alain Souchon. Ce type raconte la vie. Sa chanson qui raconte le problème des religions (ndlr : Et si en plus y’a personne). Son texte c’est de la dentelle.
La dernière chose qui vous a fait rire ?
Une photo détournée de Trump, Macron et leurs femmes! On les voit de face, alignés et la légende de la photo disait : Abba est de retour !
Et la dernière qui vous a rendu triste ?
Mes abeilles. J’ai des ruches à la maison, je fais du miel. Tout ce qu’on raconte, c’est vrai! Mes abeilles meurent, les abeilles meurent… Les abeilles, c’est la vie! S’il n’y a pas d’abeilles, ça ne pollinise pas : pas de fruits, pas de fleurs, pas de légumes. Le monde est con. C’est triste car c’est la vie même que l’on touche là.
Le geste du quotidien que vous préférez ?
La calin à mon chien. A n’importe quel moment de le journée, je peux faire ce que je veux, il ne bouge pas. Mais quand je me mets en route pour le boulot, le matin, il le sent et vient devant la porte pour recevoir sa petite gratouille derrière l’oreille. L’intelligence animale.
Votre cuisine préférée ?
La cuisine thaïlandaise. J’adore! Ce n’est pas une cuisine d’épices comme beaucoup le disent, c’est une cuisine d’herbes et de parfums. Nous, on a un basilic mais il existe plein de basilics différents. Ils ont cette ciboule, la coriandre, etc. Et ils utilisent aussi toutes ces variétés d’oignons, toutes ces sortes d’échalotes. C’est une cuisine plaisir.
Votre grand souvenir de table ?
J’en ai beaucoup… (embarrassé). Mais de manière inconditionnelle, c’est l’Idiot du Village. Aujourd’hui, c’est fini. Mais tous nos souvenirs familiaux importants, on les a vécus là. C’était un endroit extraordinaire. L’arrêt d’Alain Gascoin est une perte immense. Ses jus, ses cuissons, il avait… Il a une patte incroyable! (nostalgique) L’Idiot, vraiment… Vraiment ! Non seulement grâce à la cuisine d’Alain, mais aussi – et parce que je pense qu’un restaurant, c’est un ensemble, c’est un tout, par la personnalité d’Olivier en salle qui, dans la décoration aussi, a créé un lieu extraordinaire. Ca parlait, ça vivait, ça sentait bon. Ils étaient complices et les clients devenaient leurs complices aussi. Avec le temps, ils connaissaient les goûts de leurs clients. Les ris de veau d’Alain étaient fabuleux, je n’en ai jamais mangé de meilleurs. Il vous cuisait cette noix parfaitement. Et il y avait du jus, y avait du jus!… Les cuisiniers, faites des jus, faites des sauces!
L’actualité de David Ghysels, c’est le Dinner in the Sky à Bruxelles cette semaine, qui investira pour la première fois le parvis de la Basilique de Koekelberg du 11 au 24 juin.
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Propos recueillis par Laurent Delmarcelle, Bruxelles, juin 2018.