Portrait / Tanguy De Turck, chef étoilé du Vieux Château à Flobecq : « Après ma 17ème opération, je n’avais plus rien, c’était fini… »

13 juin 2024

En mise en bouche avant le menu complet et notre rencontre qui sera publiée demain, nous avons fait une balade avec Tanguy De Turck sur son chemin de vie. Le parcours d’un homme, s’il peut s’avérer parsemé d’embûches, peut être à tout le moins délicat. Mais quoi de mieux que de veilles pierres et une terre fertile pour se construire et rester solide.

« Je suis né à Ath en juillet 80 et j’ai passé toute mon enfance à Flobecq, et hormis un passage d’une dizaine d’années à Gand – pour y suivre des études en sociologie et y vivre un peu, je suis resté fidèle à ma terre natale. Mes études en sociologie, c’est le social et la politique qui m’intéressaient beaucoup, mais finalement, je ne me voyais pas rester assis derrière un bureau au quotidien, ce n’était pas pour moi. Mon rêve à moi, dans l’absolu, c’était de devenir ingénieur du son. Mes parents trouvaient ça onéreux et devant leur refus, comme je suis un peu têtu, j’ai travaillé un an comme ouvrier dans une chaine de montage d’aircos. Ça m’a permis de financer mes études d’ingénieur du son, on était en 2005… L’année même où le projet du Vieux Château a vu le jour. Oui… on peut dire que j’ai un parcours un peu particulier.

Pendant vingt ans, je suis passé devant sans même le voir

Tout a basculé quand ma sœur, lors d’une promenade, a repéré le bâtiment, le Vieux Château. Il était à l’état de taudis, il n’avait pas été entretenu pendant quarante ans ; les berges, le jardin, c’était une catastrophe. Mon père est venu le voir et il a trouvé l’endroit fantastique ; comme le propriétaire voulait s’en débarrasser, il a fait une proposition et l’opération a été vite conclue.

Et dire que je suis passé devant pendant vingt ans sans jamais le remarquer… Mais moi, ce que je voulais, c’était travailler dans la musique. Avec mon petit home studio, j’allais réaliser des enregistrements, je voyais vraiment ma vie dans la musique. Et puis, ma sœur, qui bossait dans des restaurants, a proposé l’idée de créer au Vieux Château un petit bistrot avec une salle de fêtes. J’ai commencé à donner un coup de main en cuisine et puis, au fil des services et des journées, je prenais de plus en plus goût à cuisiner.
Quelque part, je retrouvais la magie des repas de mon enfance, l’époque où mes grands-parents et mes parents se retrouvaient le dimanche et cuisinaient dans les règles de l’art les beaux classiques de la cuisine familiale. C’était magnifique… Mon grand-père allait très loin pour chercher les beaux produits, parfois il allait chercher les poissons jusqu’à la côte. Il faisait ses fonds avec les os, il récupérait la moelle, il toastait des pains briochés… Quels souvenirs !
À l’époque, comme mon père était importateur de vins, ils nous emmenait au Château du Mylord, la grande maison de la région, et dans d’autres bons restaurants.

Quand on a commencé l’aventure du Vieux Château, on n’avait pas la maîtrise évidemment, mais on a toujours mis un point d’honneur à faire de la qualité. On faisait tout maison ; à la carte, on avait cinq entrées, cinq plats et quatre desserts. On avait de la tache noire, que je marinais dans du soja, avec des légumes croquants. On faisait des frites, c’est mon père qui s’en chargeait, il en a fait des tonnes !

Après avoir subi 17 opérations, à l’arrêt pendant plus d’un an, c’était fini

Ça marchait bien… Mais un jour, j’ai fait le choix d’un changement radical. J’ai proposé à mes parents de racheter le bâtiment… Très peu de temps après, un soir où j’étais allé à Gand rendre visite à un ami qui venait d’être papa. Je suis rentré chez moi vers 23 heures et à trois heures du matin, je me suis réveillé, j’étais mal, un peu comme si j’avais attrapé une grosse grippe. J’ai voulu sortir de mon lit, je ne savais plus marcher… Et j’étais seul, ici, en haut. Le matin, je suis parvenu à prendre ma voiture et je suis allé chez le médecin. Il m’a envoyé de suite aux urgences à Renaix. Ils m’ont opéré directement ! J’avais un abcès, qu’ils disaient…

Je suis rentré chez moi. Deux jours plus tard, j’étais de retour à l’hôpital. En fait, j’avais des trous dans les intestins. Après 3 ou 4 opérations, je suis allé à Gand, voir le Docteur De Looze, un spécialiste mondial des problématiques des intestins, il a regardé mon dossier, il m’a donné ses coordonnées privées en me demandant de l’appeler de suite en cas de nouveau souci. Deux jours plus tard, je faisais une rechute, je l’ai appelé : « Je suis à Breda, je suis à un congrès. Va à l’UZ Gent, j’arrive ! « . Il m’a opéré. Deux jours après, je suis rentré à la maison. Trois jours après, retour à l’hôpital. Il s’inquiétait… Ensuite, nouvelle opération, nouveau retour à la maison… Et une semaine plus tard, je retournais sur la table d’opération… Il m’a dit : « Cette fois, tu ne quittes plus l’hôpital !  » Il m’a encore opéré et il m’a gardé. Et il m’a soigné, méticuleusement, point par point.
J’avais les intestins perforés, j’ai été opéré 17 fois, le premier diagnostic était mauvais…
Quand je suis revenu à moi et que j’ai pu retravailler, comme j’avais été malade et que j’étais le seul cuisinier, ceux qui étaient avec moi étaient partis. 14 mois, tu imagines ! … J’étais par terre, au sol. J’avais racheté le Vieux Château et c’était fini…

Niels et Davina

Et puis, les belles rencontres de la vie. J’ai rencontré Niels, qui travaille encore avec moi aujourd’hui. Je lui ai dit : « Écoute, je n’ai plus rien… Mais on va bosser six jours sur sept, à deux… Je te paierai après ». Il m’a dit ok ! À deux, on a tout fait ! On faisait tout, on nettoyait, on cuisinait, on empilait la vaisselle… Et après le service, on faisait la vaisselle, parfois jusque trois heures du matin. Mais ça marchait bien. Après quelques mois, j’ai pu engager un plongeur. Et puis, on a commencé à construire l’équipe, j’ai rencontré Davina, elle travaillait dans une sandwicherie, elle ne connaissait rien au métier mais elle était motivée et elle avait une attitude incroyable. Elle est là depuis six ans. On a travaillé comme des fous. On a eu des périodes très difficiles.

On a travaillé deux jours… et on a dû fermer

Le plus gros changement, et ça a été sérieux. Ça faisait dix ans que j’essayais des choses en cuisine, que je faisais des essais. J’avais envie de faire quelque chose à moi. J’ai changé la déco aussi. C’était bien… mais je voulais quelque chose qui me ressemble. En cuisine, j’ai arrêté ce qu’on faisait à l’époque ; j’ai retiré les plats brasserie, j’ai retiré la carte et on a travaillé un menu unique. Au début, ça a été très dur… Les gens ne suivaient pas. On était en marche dans la nouvelle version depuis quatre ou cinq mois et le Gault&Millau nous a donné le titre de ‘Révélation de l’Année’, en 2019. Et ce jour-là, tout a basculé. Et là, je me suis retrouvé devant un problème que j’avais totalement sous-estimé ; on était complet midi et soir et je me suis rendu compte que mon infrastructure fonctionnait très bien pour vingt couverts mais pas plus, ça ne suivait plus.

J’ai dû me poser ‘la’ question : Ou je reste sur mes vingt couverts comme pour l’instant, et c’était très bien… ou je construis quelque chose à côté et j’agrandis ma cuisine. J’ai pris contact avec mon amie architecte Maud Lefever… et on a construit l’extension du restaurant. Entre les deux confinements, les travaux ont été très vite réalisés, on était prêts deux jours avant le deuxième confinement. On a travaillé deux jours et on a dû fermer… »

À suivre…

Par Laurent Delmarcelle

Demain sur Eating.be : Notre rencontre avec Tanguy De Turck – « Je voulais travailler dans la musique, et rien d’autre… »

Le Vieux Château – Rue Docteur Degarve, 23 à Flobecq.