Pascal Fauville, Fromager : « Le meilleur fromage, c’est celui que l’on va déguster avec les bonnes personnes. »

29 mai 2024

Enfant de Hannut, il rêvait d’être ébéniste, il a été cuisinier et ensuite poissonnier dans la grande distribution. Né de la terre, il est revenu vers elle pour embrasser avec passion sa destin de fromager. Rencontre avec Pascal Fauville, autour d’une gaufre de Liège, on a parlé du Vieux Fusil et de Pierre Fonteyne.


Pascal, avez-vous un plat préféré ?

Je dois vraiment n’en donner qu’un seul ?! (rires)… Alors, c’est le ris de veau. Je ne peux pas résister au ris de veau… Mais à côté de ça, et c’est mon côté terroir, ce côté paysan (mais pour moi, paysan c’est noble), une tranche de lard salé… qu’est-ce que c’est bon ! Mais si je ne dois garder qu’un plat dans ma mémoire, une marque indélébile, c’est un plat de pâtes que j’ai vécu à Bari, avec mon ami Giova. On s’est retrouvés dans un tout petit restaurant, on y a mangé un simple spaghetti, juste avec un coulis de tomates. Mais qu’est-ce que c’était bon ! Et toujours dans le registre des pâtes, on est allés à Rome l’an dernier avec Maud, on s’est retrouvés dans un lieu totalement improbable : tu avais la terrasse d’un côté du chemin, le restaurant de l’autre, le gars devait traverser la route pour venir servir les clients. A l’intérieur, il y avait une salle, mais tu voyais que c’était une petite maison « normale ». Tu percevais l’arrière-cuisine, tu les devinais couper le pain et encaisser les additions, et puis tu imaginais à peine la cuisine tout au fond, c’était la mamma qui cuisinait. Je suis prêt à prendre l’avion maintenant juste pour aller y manger un Cacio e Pepe !

Avez-vous un fromage préféré ?

… (soupir) Ce n’est pas simple. Alors, pourquoi ce n’est pas simple ?… Et bien, il arrive que tu apprécies un produit, mais quand tu rencontres la personne qui offre ce qu’il a fait, tu vas le regarder dans les yeux, tu vas lui serrer la main, tu vas ressentir son environnement, ce qu’il est… et ta perception peut être bouleversée. Parce qu’il y a cette relation humaine, qui ne devrait d’ailleurs peut-être pas intervenir dans ton ressenti ?… Je ne sais pas, mais c’est humain, je pense. Si je reviens au début de mon histoire, le premier producteur qu’on a rencontré, il faisait de l’Etivaz d’alpage… Et c’est la rencontre qu’on n’oubliera jamais. C’était la première. On a picolé tout l’après-midi dans son chalet, je ne savais même pas qu’il y avait autant d’alcool dans un chalet d’alpage (rires). Il nous a dit que c’était pour désinfecter quand les vaches avaient des mammites… la bonne excuse ! (rires) Est-ce que ça en fait mon fromage préféré ? Non, je ne crois pas, mais c’est celui qui est là depuis le tout début de notre histoire.

« Mon plaisir, c’est le partage. »

Que trouve-t-on toujours dans votre frigo à la maison ?

Du beurre et de la crème fraîche. Et aussi, toujours du fromage. En général un bloc de parmesan, souvent du gruyère ; un gruyère de réserve et un gruyère d’alpage, ma fille adore ça avec du miel. Et puis, Maud, mon épouse, elle, serait capable de manger du fromage à tous les repas ! Et un bon pickles aussi. Avec un peu de haché sur une tartine, c’est très bon. Mais il faut du beurre !

Un plat que vous aimez cuisiner à la maison ?

J’aime cuisiner tout. Mais ce que je vais aimer par-dessus tout , c’est le bonheur que je vais vivre en faisant plaisir aux gens qui seront près de moi. Quand je reçois, le plaisir commence avant le repas, déjà quand je fais les courses, quand je prépare… Mon plaisir, c’est le partage.

Quel est endroit où vous vous sentez bien ?

J’ai un problème, je ne parviens pas à trouver le bouton pause au niveau cérébral, et parfois au niveau physique. Et les quelques fois où ça arrive, que ce soit en montagne, à la mer, ou n’importe où, c’est un moment qui me fait vraiment du bien. Je ne vais pas me qualifier d’hyperactif, je suis simplement HP… Mais pas ‘haut potentiel’, je suis plutôt hautement paresseux (rires). J’ai l’impression que lorsque je m’arrête, je perds du temps. Si je suis à la maison, si je chipote dehors, j’adore avoir les mains dans la terre, c’est un moment où je ne pense à rien et là, je me sens vraiment bien.

Vous avez un rêve inavoué ?

… (Sourire). J’aimerais discuter en tête-à-tête avec Chris Martin, le leader de Coldplay. Il y a une question qui me taraude depuis des années, je me demande à quel moment ils ont imaginé, pour leur tournée mondiale, d’intégrer dans les visuels, un extrait du « Dictateur » de Charlie Chaplin ?… Quand tu écoutes l’extrait qui passe, et ce film a plus d’un demi-siècle, je me demande pourquoi ils ont choisi ça ? Et finalement, quand je vais voir Coldplay, je me dis que je ne vais pas voir un concert mais que je vais passer une soirée avec 60 000 potes, que je ne reverrai jamais de ma vie. Je n’aurai probablement jamais la réponse…

Vous êtes plutôt viande ou poisson ?

Alors, j’adore la viande. Mais mon passé de poissonnier refait vite surface et j’adore cuisiner le poisson. J’ai un faible pour la langoustine, mais après dans les poissons, et c’est très belgo-belge, quand on a une belle sole, c’est superbe. Mais si on a un beau morceau de cabillaud ou de bar de ligne, que le poisson soit rond ou plat, tant que l’origine est bonne. Et qu’on en prend soin.

Un vin ?

Les Bourgognes blancs. Mais, j’ai aussi le souvenir d’une dégustation, c’était un Châteauneuf-du-Pape blanc. On avait préparé un choix de fromages à pâtes pressées ; il y avait de l’Abondance, du Gruyère, du Comté, de l’Etivaz, et on finissait avec un Jersey Blue, un bleu suisse. On a vécu un très beau mariage solides-liquide.

Un fruit ?

Une fraise du jardin ! Souvenir d’enfance… Petit, j’étais toujours flanqué chez mon grand-oncle et ma marraine, ils avaient une petite ferme familiale. De la fenêtre de la cuisine, on pouvait voir une partie du jardin, je les vois encore avec la vieille passoire en plastique (où un morceau était cassé mais c’est pas grave, on ne va pas le jeter!) et je me vois les regarder cueillir les fraises du matin. Et quand ils rentraient, c’était d’abord les fraises pour le gamin.
Avec du sucre ?
Un peu, j’avoue… (sourire).
Et vous les écrasez…
Les fraises, j’aime bien qu’elles soient un peu « spotchies » (écrasées en wallon). Pour en faire sortir le jus et qu’elles s’imprègnent bien de sucre.

Un légume ?

La tomate. Mais à nouveau, une tomate de jardin. Á mes yeux, il y a peu de choses qui sont meilleures que ça. Alors, oui… On a des asperges ici, prés de chez nous, à Rosoux, je trouve ça délicieux… Mais une tomate de jardin, je la mange comme une pomme.

Avez-vous une cuisine préférée ?

J’ai un immense respect pour la cuisine française, pour la grande tradition de la cuisine française, mais la cuisine italienne est tellement belle et simple. Elle parvient à réunir très peu d’ingrédients, mais ils sont tellement bons et beaux… Il ne me faut rien de plus. Je trouve que ce qui ajoute à la beauté de cette cuisine, c’est qu’avec des choses très simples, un morceau de pain presque rassis, où l’on va juste poser quelques gouttes d’huile d’olives, qu’on va un peu y frotter avec de la tomate… Y apporter un geste d’amour, j’ai presque envie de dire. Pour ça, les italiens, je les trouve extraordinaires.

Une crasse qui vous fait craquer ?

Un crapuleux cornet de bonnes frites.
Ce n’est pas une crasse ça…
(Rires)… Alors, les chips. J’ai un paquet entre les sièges de la camionnette d’ailleurs ! (rires). Au paprika. Des chips que je trouve très bonnes, ce sont les Rebel, c’est fait ici dans la région de Hannut, à Geer. Ils en ont au thym et romarin. La première fois quand j’ai vu le sachet, je me suis dit qu’ils étaient dingues… J’ai goûté. J’aime beaucoup

Un sport ?

Le rallye automobile. J’ai été un grand fan de Bruno Thiry. Je l’ai vu rouler dans les années 80 ici, au rallye d’Hannut, avec une Citroën Visa 1000 Pistes. J’étais impressionné… Il faisait ce qu’il voulait avec sa voiture. Je suis allé le voir en Espagne, en Angleterre, en Suède et en Finlande. Et au-delà du pilote qu’il était, et c’était vraiment un très très beau pilote, je trouve qu’il n’a pas eu la chance qu’il méritait. Et c’est une belle personne, pleine d’humilité, pleine de belles valeurs, quelqu’un de bien.

Un film culte ?

J’en ai deux… Le premier, c’est le film qui a été récompensé par le premier César de l’histoire du cinéma français, ‘Le Vieux Fusil’… De Robert Enrico, avec Romy Schneider et Philippe Noiret. En fait, je ne suis pas calé en histoire, mais j’ai toujours eu un grand intérêt à propos du massacre d’Oradour-sur-Glane… Et sachant que ‘Le Vieux Fusil’ s’inspire en partie cette histoire… J’en ai la chair de poule. Je suis allé trois fois voir Oradour, la première fois j’avais huit ans. L’homme qui était le guide de la visite était un survivant, Robert Hébras. Je n’oublierai jamais l’intonation de sa voix. Ensuite, je me suis documenté sur le drame et j’ai même fini par animer des conférences sur le sujet. J’ai toujours fait un paralléle avec Merdorp, le petit village où j’habite, deux petits villages excentrés. Tu ne passes pas par ces endroits-là ; soit tu y habites, soit tu vas voir quelqu’un, soit tu t’es perdu.
Et dans un registre complètement différent, j’adore ‘Gladiator‘. Peut-être parce que je ressemble « enfin » à Russel Crowe : je suis gros ! (Rires). J’aime l’histoire du film, le côté pugnace, jusqu’au-boutiste. Et puis, il y a cette scène où tu vois sa main caresser les herbes, ce côté délicat, tactile…

Votre mot préféré ?

Partage.

Votre juron préféré ?

Fait ch… !

« Les premières galettes qui sortaient du fer,
elle les déposait encore chaudes sur le fil posé sur la table… »

Dans votre smartphone, des musiques ?

Coldplay… Avec un focus sur ‘Charlie Brown’. Cette chanson, et c’est un grand débat avec ma fille pour qui le plus grand morceau de Coldplay est ‘Fix You’… Je trouve que Coldplay dégage et transmet une telle énergie dans cette chanson. Certes, il y a le charisme de Chris Martin, mais il y a aussi Will Champion, le batteur. Quand je le vois jouer sur cette chanson, je me dis qu’il va se déchirer les bras tellement il frappe sur sa batterie !

Vous avez une madeleine de Proust ?

Les galettes. Quand ma Grand-Mère faisait des galettes, Nènène qu’on disait… (silence)… Tu avais cette odeur dans la maison, déjà ça… Waouw ! Et puis, je me souviens des premières galettes qui sortaient du fer, elle les déposait encore tièdes sur la grille, posée sur la table. Je venais en chercher une, la chiper en fait. Et j’avais cette habitude de prendre une cuillère à soupe, j’allais dans la bassine de pâte et je remplissais les petits trous des galettes avec la pâte… Et ça ! J’avais mal au ventre pendant deux heures mais… qu’est-ce que c’était bon ! Et avec Maud, quand on a construit notre maison, et quand ma Nènène faisait des galettes, chaque soir quand je rentrais du boulot, j’avais un petit sachet suspendu à la poignée de porte : trois galettes et un petit bol rempli de pâte à galettes. Donc, tu vois, ma madeleine, ce sont les galettes de ma Nènène…

La dernière chose qui vous a rendu triste ?

C’est la mort d’Olaf, notre chien… C’était un Leonberg… Il était près de nous depuis huit ans. Il avait un gros problème d’estomac. Huit ans, c’est la moyenne de vie de ces chiens, et… (silence ému)… Je suis désolé… J’avais sa tête dans mes mains… Je n’avais qu’une envie, c’était de lui dire pardon. Devoir prendre cette décision… Mais… Et voilà.

… Et celle qui vous a fait sourire ?

Dans le même registre, c’est la gueule de canaille de Lardon. Peu de temps après la mort d’Olaf, une amie nous a mis en contact avec une personne qui avait une nichée de croisés berger australien épagneul breton. On est allés, on en a choisi un. C’était une belle émotion… c’était une autre émotion. Dans la nichée, l’un était plus gros que les autres. Lui et moi, ça nous faisait un point commun (rires). Et vu qu’il était plus gros, nos enfants l’ont appelé Lardon. Lardon est avec nous.

Á quoi êtes-vous fidèle, Pascal ?

J’essaie d’être fidèle à moi-même, le plus possible… J’ai des valeurs, qui m’ont été inculquées depuis tout petit, des choses auxquelles je crois. J’essaie d’être fidèle à ça, j’essaie de les transmettre. Que ce soit avec mes enfants, que ce soit avec les gens avec qui je travaille… Je ne me battrai jamais pour une chose à laquelle je ne crois pas. J’essaie de rester fidèle à ce qui me ressemble.

Qu’est-ce qu’un « bon fromage » ?

Pour moi, un bon fromage, et c’est ce que je dis aux gens, c’est le fromage qui va leur plaire. Je pourrais te dire que le fromage que je préfère c’est le Sainte-Maure-de-Touraine, le fromage de chèvre. Et peut-être que pour certaines personnes, leur fromage préféré, c’est un petit fromage aromatisé au caramel beurre salé. Personnellement, je ne trouve pas que c’est ça qui va traduire le mieux le fromage. Je pense que le meilleur fromage, c’est celui que l’on va déguster au meilleur moment, avec les bonnes personnes. Ça peut varier, ça peut être un Comté fruité, ça peut être une Fleur de Tête de Moines, ça peut être un morceau de Roquefort, etc… Bref, les gens, l’instant, le partage.

Y-a-t’il quelque chose que vous n’avez jamais dit à propos de votre métier ?

En fait, je crois que peu de personnes réalisent le travail et les gens qu’il y a en amont et en aval. Dans l’esprit de pas mal de personnes, le magasin est ouvert de 10 à 18 heures 30, ils pensent que tu arrives à 9 heures 45 et qu’à 19 heures, tu es chez toi ! Mais la réalité, c’est une toute autre histoire, et ce n’est pas uniquement pour mon métier, bien entendu. Dans beaucoup de métiers de bouche, avec peut-être une particularité pour le fromage, c’est que les gens nous disent début décembre, c’est la grosse période pour vous ! Mais la grosse période, elle a démarré depuis plusieurs mois. Il faut anticiper la réservation des fromages, sur l’économat, il faut anticiper sur un tas de choses. Un exemple : les gens pensent que le Reblochon, ça se mange uniquement en tartiflette pendant l’hiver. Alors que non, le Reblochon est bien plus intéressant gustativement en été. Et à une époque, on ne parvenait plus à avoir des Reblochon en direct de la Savoie. Les gens ne comprenaient pas qu’avec les fortes chaleurs estivales, et donc le manque de pluie, l’herbe ne poussait pas ; d’où pas de foin, s’il n’y a pas de foin, pas de nourriture pour les bêtes, moins de lactation, moins de lait, etc, etc… Toutes ces choses qui font que les gens sont tellement habitués à avoir tout, tout le temps, qu’ils ne se rendent pas compte que le fromage que l’on propose, c’est le résultat d’un produit naturel et d’un cycle qui remonte à plusieurs mois en arrière.

Votre plus grande peur ?

Manquer mes objectifs. Au niveau professionnel, tu as une entreprise à faire tourner, des gens qui travaillent chez toi, c’est une fameuse responsabilité. Je pars du principe que les gens qui travaillent ici, leur quotidien résulte de ce qui se passe ici. Et pour garantir leur salaire, il faut faire en sorte que tout se passe bien. En soi, ça, c’est déjà un gros objectif.

Et au niveau personnel ?

Je dois faire gaffe car si Maud lit l’article, je risque des actions de répression (rires). Je crois que l’objectif que je me fixe depuis longtemps, et que je loupe toujours, c’est de prendre du temps pour moi et ceux qui m’entourent. Et oui, parfois, de temps en temps, ne rien faire, aller se balader, prendre un verre… Et je me dis que ce serait bien… et je me dis que ce serait bien. (sourire). Et puis, ce qui est est très énervant, et plus pour ceux qui m’entourent, c’est que j’ai du mal à le faire avec moi, mais je vais être donneur de leçons avec ceux qui ne le font pas pour eux.

Le moment qui a changé votre vie ?

Au niveau professionnel, c’est ma rencontre avec Pierrot Fonteyne. Vraiment… Je l’ai rencontré à l’époque où je travaillais chez Carrefour, il était consultant pour eux, et moi j’étais responsable national pour la poissonnerie. C’était en 2004, la direction nous avait demandé de préparer un plat préparé à base de poisson, à réaliser dans le rayon poissons, un produit disponible en libre service, dans une barquette, hop tu rentres, tu piques deux fois, tu tapes dans le micro-ondes et c’est fait ! Chose qu’on voit partout aujourd’hui ! Mais il y a 20 ans, c’était une autre histoire… J’avais fait des propositions, on avait une cuisine test à Evere. Et normalement, pour le test, j’avais mon boss, le boss de mon boss et le directeur de Carrefour qui descendaient pour tester les produits. Et je reçois un coup de fil qui m’annonce l’absence du directeur de Carrefour ne sera pas là… mais la présence de Pierre Fonteyne. Et là, je me dis… Waouw ! Là, ce n’est plus tout-à-fait la même chanson. Je n’oublierai jamais…

On avait une préparation, c’était un Filet de Daurade royale avec un coulis de tomates et des crevettes grises. Et donc, j’ai expliqué le produit, la fiche recette, on chauffait en cuisine et puis on faisait déguster. Et tu vois, Pierrot Fonteyne, il avait le bout des doigts un peu déformés par le temps, et il te dit poliment : « Je crois que les crevettes grises, ce n’est pas l’idéal, je crains de les voir se réchauffer ». J’avais essayé et je trouvais que c’était bien ; les crevettes grises étaient posées sur le coulis de tomates, le poisson venait au-dessus. Tout le monde goûte. Et à la fin de la dégustation, Pierrot vient près de moi, mais… imagine-toi Laurent! Il avait émis une mise en garde, à laquelle tout le monde avait pris attention et il me dit après coup que : « c’est très bon, c’est ok ! La manière dont ça a été fait donne un résultat qui est vraiment très bien ». Et je me suis dit… waouw ! C’est la classe ! Quelqu’un comme lui, avec le niveau qu’il a atteint dans sa carrière, qui dit devant tout le monde qu’il fait une erreur dans son appréciation de base…

Ensuite, on est restés en contact et c’est la première personne à qui j’ai parlé du projet de ma Maison Fromagère. Quand ça a commencé à se dessiner, je lui ai demandé si on pouvait se voir pour que je parle de mon projet. Je lui ai présenté, et je n’oublierai jamais, il m’a dit : « Tout ce que tu as mis là, c’est bon ! Mais si tu veux faire tout tout de suite, tu n’y arriveras pas ! Parce que pour arriver à faire tout ça dès le départ, tu vas devoir engager du monde et tu ne pourras pas te le permettre au début. Ce qui est important, c’est que tu démarres avec uniquement cette belle base. Et puis, petit à petit, tu ajoutes un petit quelque chose ». Et on l’a écouté, on a démarré avec, on va dire du « basique », et régulièrement, on mettait un petit truc en plus… Et les clients remarquaient ça. Ils appréciaient de voir que des petites choses nouvelles arrivaient. C’était chouette. Il m’avait dit que si j’ouvrais mon magasin, il serait notre Parrain. Et tu peux écrire sur la porte « Avec les conseils culinaires de Pierre Fonteyne », tu peux le mettre sur la vitrine !
Et le soir de l’ouverture, début mai 2008, Pierrot est arrivé et puis il m’a dit : « Allez, je vais servir à boire ! » Je lui ai dit non. Il m’a remballé et m’a dit d’aller près des invités… et il a servi à boire aux gens ! (rires). Et lors des premières fêtes de fin d’année, parce qu’après l’ouverture en mai, j’ai eu du mal, vraiment du mal… Et celle qui a tenu la baraque, c’est Maud. Et puis un jour de septembre, Pierrot en septembre, Pierrot arrive et me dit tu as prévu quoi pour les fêtes ? On n’avait rien prévu. Il a dit ah non non non ! Il est revenu et on préparé un menu pour Noël un menu pour le Nouvel An… Et il est venu faire toutes les mises en places avec moi. C’était un « Monsieur », en lettres majuscules et en lettres d’or. Il m’a transmis quelque part cette volonté de transmettre les choses. Comme quand je vais à l’Ecole Hôtelière de Namur alors que je devrais lever le pied. Mais je trouve con d’avoir emmagasiné des connaissances et de les garder pour soi. Pour moi, le mot partage est important.

Vous avez un grand regret ?

C’est d’avoir été taiseux avec mon Papa. On s’entendait très bien mais…rien ne se disait entre nous. Je n’ai pas le souvenir d’avoir vécu un « je t’aime » de mon père. Et inversement… Je le regrette.

« ll me dit : « Roberto, finito… ». Le monsieur était âgé, il avait arrêté de travailler…
…et son fromage, c’était fini. »

La situation la plus difficile que vous ayez eu à affronter ?

C’est la mort de mon Papa, dans un accident de la route, un 8 août… Et lors des six mois qui ont suivi, j’ai vécu donc son décès, une séparation, la vente de la maison et une grosse remise en question professionnelle. Un soir, en rentrant à la maison, j’ai eu l’impression de ne plus être moi-même. Comme si j’avais l’impression d’être sur un balcon et de me regarder un étage au-dessus. Je suis rentré… Et là j’ai eu des idées très noires… très définitives… Heureusement, j’ai eu la lâcheté de ne rien faire. Je suis tombé en dépression… Et l’avantage quand tu es au fond, c’est qu’à un moment donné, tu remontes. Et je suis remonté. Et il y a eu la rencontre avec Maud.

Que dites-vous à vos enfants ?

J’ai deux enfants, Aurélien et Amandine, ils ont la trentaine. Je leur dis simplement : « Soyez heureux, je vous aime. Et je suis là pour vous ».

Vous êtes depuis une quinzaine d’années « dans le fromage », qu’est-ce qui a changé ?

Au niveau de la clientèle, la grosse évolution, c’est la curiosité. Avant, le fromage n’était pas du tout dans les habitudes alimentaires. A la limite, le fromage était un sous-produit, de la « cassette » comme on disait. Je pense que ce qui a aidé, c’est que les gens ont commencé à voyager de plus en plus, les vacances devenaient plus faciles pour tout le monde, des émissions télé qui ont parlé du fromage aussi. Les gens ont ouvert leur yeux sur le monde de la nourriture dans sa globalité, ça a laissé une place pour le fromage. Et dans notre maison, ce qui a été important, c’est qu’on a toujours expliqué aux gens pourquoi on proposait tel ou tel choix. Quand on a ouvert, on avait du Vieux Pané, on avait du Suprême des Ducs, on avait du Chaumes… et je n’ai pas peur de le dire. Pourquoi ? J’ai un Delhaize à 40 mètres, j’ai un GB, j’ai un Aldi, un Colruyt… On a tout ici à Hannut ! Et donc, le fait d’avoir ces produits basiques faisait office de « référence » pour certaines personnes, ça les rassurait. Au fil du temps, on a commencé à laisser ça de côté pour proposer d’autres produits et les valoriser, en expliquant le produit et la raison de notre choix. On a voulu établir une relation de confiance avec les producteurs pour mieux raconter leur histoire, et donc leur produit. Je crois que quand tu fais passer quelque chose, si tu es sincère, les gens reçoivent ton message. Le métier en fait, il est facile. Dans cette chaîne, on est le maillon transmetteur entre celui qui a produit, ou celui qui affiné, et on doit juste dire aux gens que ce qu’ils vont manger ce n’est pas qu’un simplement qu’un « morceau de fromage ». Qu’il y a une histoire derrière, expliquer d’où il vient, pourquoi et comment il est fait.
On a eu à l’époque, une Ricotta fumée d’alpage, on avait vu ça dans les caves de chez Guffanti en Italie. Quand ils te parlent de la « Ricotta fumicato di alpagio da Roberto », ils te racontent que c’est un vieux monsieur qui travaille en alpage, qu’il laisse fumer sa ricotta dans son chalet. Tu vois ce produit, ce côté bien bombé qui a été pris par le poids dans l’étamine, cette couleur un peu grisâtre qui a été prise par la fumée de l’âtre… C’est merveilleux ! Tu ne peux pas passer à côté de ça Laurent ! Et la ricotta fumée, déjà en Belgique, ce n’est pas ce que les gens préférée, ils sont plus ricotta fraîche. Mais après, tu as aussi la chance de donner une autre dimension au produit et en l’occurence, ces ricotta là…
Anecdote. En allant livrer à l’Air du Temps, à l’époque, je me souviens j’en avais acheté six, je n’en avais même pas vendu une. Donc, je les offre à San. Je les leur donne et j’explique ce que c’est comme produit, le fait que c’est vraiment rare. Et je lui dis : « Je te les laisse mais je veux savoir ce que tu vas en faire… » La semaine suivante, quand j’y suis retourné, il m’a fait goûter. Ils avaient fait une petite sphère, avec une base de ricotta, avec de l’aubergine, et tout autour tu avais des écailles d’aubergines… C’était magnifique. Deux ans plus tard, quand on retourne voir le gars de chez Guffanti, il te dit : « Roberto, finito… ». Le monsieur était âgé, il avait arrêté de travailler… et son fromage, c’était fini. Un truc exceptionnel qui disparait et en même temps que celui qui le fait… Mais j’ai eu la chance de le connaître et de transmettre une partie de son histoire, c’est la magie de mon métier.

Avec qui voudriez-vous vous retrouver à table ?

Je dirais Pierre Gagnaire. Je pourrais te dire aussi Bernard Loiseau, pour sa personnalité. Cet homme donnait l’impression d’être gourmand de tout. Tu sens qu’il voulait tout goûter, tout savoir, tout connaître. Et Guy Savoy, au travers de ses livres ; quand je lis son histoire, je retrouves des valeurs, des leçons de vie, un côté partage qui me parlent beaucoup. Et Pierre Gagnaire à côté de ça, on pourrait peut-être se dire que ce n’est que médiatique, parce que je le vois à la télé, parce que je vois des reels sur les réseaux… (Il réfléchit)… Il me fait un peu penser à Pierrot Fonteyne… il est bienveillant. Et puis, cette aura. Je pourrais manger dans ses mains.

Et vos donnez cours aussi…

Oui. Ça me rappelle une histoire. J’étais allé donner cours au 7èmes à l’Ecole Hôtelière de Namur. Et en discutant, on me propose de coacher les gars pour le ‘Concours Romeyer’. J’hésite… Et puis, finalement, j’accepte. Et je coache l’équipe… Et ils gagnent le prix du meilleur dessert, j’ai le prix du meilleur coach et ils gagnent le concours. Et ce qui est magique, c’est que, quand je suis allé à l’École Hôtelière à Namur, j’ai fait un an et je me suis fait chasser. A l’époque, le directeur estimait que je n’étais pas fait pour les métiers de bouche donc il avait conseillé vivement à mes parents de me retirer de son magnifique établissement et de m’envoyer vivre ailleurs. Chaque fois que je remonte là-bas, j’y repense.

Une rencontre entre Pascal Fauville et Laurent Delmarcelle à Hannut, le 21 mai 2024. – Photos Eating.be.

A Table – Maison Fromagère – Rue Albert 1er, 80 à Hannut.

LA BIO DE PASCAL FAUVILLE
. Naissance à Hannut en juillet 1967.
. Enfant, il rêvait d’être ébéniste ou cuisinier. Devant le refus des parents pour son premier choix, il s’oriente vers la cuisine.
. 1985 : Meilleur apprenti cuisinier « Horeca Wallonie ».
. 2003 : il est responsable national du « Métier poissonnerie » Hyper Carrefour Belgique.
2006 : Responsable national du « Métier Traiteur » Hyper Carrefour Belgique.
2008 : Il ouvre « A table! – Maison Fromagère » à Hannut.
2010 : Premier Fromager de Belgique 2010.
2013 : Vice-Champion du Monde des Fromagers au concours Mondial des Fromagers de Tours.
2020 : Membre de l’Académie Culinaire de France.
2024 : Vainqueur du concours international « Tête de Moine » en Suisse.

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