Du « Whitepaper » à la Salle blanche : les restaurants enchaînés à l’hygiénisme ?

14 mai 2020

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Un article circule avec une virulence plus grande encore que le Coronavirus dans le métro parisien. Ce papier, intitulé « COVID-19 : Whitepaper de Horeca Magazine », est l’œuvre d’un certain Henri Wynants, journaliste en Flandre. Il édicte une longue série de mesures qui seraient à appliquer dans les différents établissements de l’Horeca en Belgique.

Ce « Whitepaper », largement partagé est, je pense, l’archétype de ce que le secteur ne doit pas produire, et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, cela manque de structure. Cette liste, longue comme le bras de mesures à prendre, n’a que trop peu de sens. J’ai l’impression que l’auteur a compilé toutes les mesures trouvées dans différents pays, sans réflexion. Et c’est un problème majeur : une stratégie se construit et se pense, elle ne se compile pas.

Ensuite, il est assez évident que l’accumulation des mesures ici annoncées est in fine inapplicable dans un contexte de restauration artisanale. Les distances, le matériel, la protection. Toute cette accumulation de règles rend le modèle extrêmement contraignant. Il sera important de rester pragmatique au moment d’édicter les bonnes pratiques.

Les mesures introduisent également un hygiénisme que j’estime totalement disproportionné. Nous travaillons tous, dans la restauration, avec le vivant, et nous ne pouvons prétendre à l’élimination totale du risque, mais avons déjà le devoir de modérer celui-là. L’AFSCA est déjà efficace pour nous aider et nous contrôler eu égard aux normes HACCP. Introduire une nouvelle couche de certification et de règles engendrera de la complexité, bien plus que de l’efficacité.

Enfin, et nous y reviendrons par la suite, l’ensemble de ce « whitepaper » est terriblement anxiogène. Tant pour les professionnels que nous sommes que pour les clients, que nous sommes aussi. Le Chef tombera en déprime devant toutes les contraintes imposées, le client aura absolument peur de cet environnement aseptisé qui lui rappellera en fait plus que jamais la dangerosité prétendue du risque d’infection. Rappeler texto que «chacun est porteur potentiel du virus » renforce l’idée que l’autre est un danger… et amènera à fuir les lieux de vie que sont nos restaurants !

Une fois passées les premières interrogations (A-t-il déjà été dans un restaurant ? a-t-il déjà travaillé dans une cuisine ?), j’en viens à me demander le pourquoi d’un tel recueil ? Juste pour être le premier sur la balle et devenir la tête de gondole de l’Horeca ? La justification me semble faible. Par contre, je me demande à qui profiterait une telle réforme de l’Horeca, et de qui Henri Wynants est-il le porte-voix ? Je n’ai pas la réponse à la deuxième question, et j’ai bien peur que ceux qui ont un intérêt à une gastronomie régie par une montagne de règles supplémentaires soient plus à chercher dans les groupes industriels que chez les artisans de la restauration qui n’auront pas les moyens de consentir à des investissements très couteux.

Ne nous y trompons pas, l’Horeca a bien besoin d’un modus operandi, et d’un porte-voix également. Mais cette personne existe déjà en Wallonie en la personne de Thierry Neyens, de la fédération Horeca Wallonie. Le combat de la Fédération est énorme mais doit être plus largement et simplement communiqué. Nous devons prendre les devants et ne pas rester spectateurs des règles parfois absurdes qui nous seront imposées.

Pour que ce catalogue des horreurs ne reste qu’un horrible cauchemar, restons attentifs et participatifs quant à la sortie de crise qui se prépare.

L’enjeu derrière tout cela est ni plus ni moins que la survie même de notre modèle de gastronomie. Peut-être l’un des plus humains qui soient.

Jehan Delbruyère