Dites-nous Catherine Mathieu… : « Il faut réapprendre le partage »

31 janvier 2019

Catherine Mathieu a été le vin de Cuisinémoi pendant plus de dix ans. Et à nos yeux, elle est l’une des plus brillantes sommelières du pays. Aujourd’hui, elle est Pépite, un lieu qu’elle a créé de toute son âme. Perfectionniste active, hédoniste raffinée, c’est une jeune femme moderne que nous avons rencontré pour un moment tout en finesse et en subtilité.
Alors, dites-nous Catherine Mathieu…

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Un plat ?

La joue de boeuf !… La joue de boeuf à la Gueuze Tilquin. C’est carrément une addiction. On l’a à la carte pour le moment (chez Pépite). On ne l’a pas tout le temps, on l’a eue l’an dernier et c’est à la demande générale qu’on l’a remise à la carte dernièrement. J’adore ! C’est super goûteux. Ca réveille des émotions en moi. C’est le retour chez ma grand-mère. Ma grand-mère, c’est ma boite aux trésors, si je fais ce métier, c’est grâce à elle.

Un produit ?

Le pigeonneau. C’est à nouveau lié à ma grand-mère. J’étais la seule de ses petits-enfants à aimer ça. Elle me téléphonait, elle me disait : « J’ai du pigeonneau ! » J’allais chez elle et on mangeait notre pigeonneau ensemble, à deux. Elle le préparait en cocotte, mijoté, avec des petits pois. Et par après, quand j’ai commencé à travailler dans les restaurants, j’ai découvert que le pigeonneau n’était pas une viande blanche mais bien une viande rouge (rires). Et j’ai appris à l’aimer comme ça. C’est si goûteux, si fin. Je m’éclate avec un pigeonneau.

« J’aurais voulu être nez. »

Une matière ?

Pour le moment, c’est la laine. La laine douce. Pour le côté souple, le côté moelleux, le côté réconfortant, la chaleur. La laine me fait du bien. J’ai toujours aimé la laine mais je la « vis » plus maintenant, nous avons même des ateliers tricot ici, chez Pépite. Le hasard a fait que j’ai une amie qui tricote, elle m’a fait des pulls et ça s’est installé comme ça. Il y a beaucoup de choses qui sont liées à ma grand-mère. Elle m’a aussi appris à tricoter quand j’étais petite et rien que le fait d’avoir regardé les filles tricoter ici, j’ai su m’y remettre seule, de mon côté. Je n’avais pas perdu la main. Et les ateliers tricot ici (chez Pépite) ça vient du fait que, dès le départ, ma volonté est qu’il doit se passer autre chose que de boire et manger. On fait des ateliers cosmétiques, des ateliers macramés, des ateliers dégustation de vins bien sûr ! C’est du partage et j’aime ça.

Un endroit où vous aimez aller manger ?

Le Crab Club à Bruxelles. J’aime ce concept, cette idée de partager les assiettes. J’aime les fruits de mer, comme j’aime aussi le mélange terre et mer. Et le Crab Club, c’est brut, c’est simple, c’est goûteux. J’y vais depuis quelques années et j’y vais régulièrement. Dans les vins, je trouve toujours quelque chose qui me fait plaisir.

Le cuisinier qui vous impressionne le plus ?

San… Sang-Hoon Degeimbre (ndlr : l’air du temps** à Liernu). C’est quelqu’un que je connais depuis longtemps et pour qui j’ai travaillé. Il peut peut-être paraitre comme introverti aux yeux de certains, mais c’est un artiste. Je trouve que le tout n’est pas d’avoir des idées, il faut aussi pouvoir les mettre en place. Et une fois mises en place, il faut s’occuper de ces idées. C’est loin d’être simple. Et je trouve que San est plutôt doué pour ça. Il va au bout des choses, au bout des choses qu’il a tout au fond de lui. Et son chemin est magnifique.

L’endroit où vous vous sentez bien ?

De ma vie, et jusqu’à présent, l’endroit où je me suis sentie le mieux, c’est le désert du Thar en Inde. Il n’y avait rien et j’avais la sensation qu’il y avait tout. C’était il y a deux ans et je m’y reconnecte souvent. Je vais rechercher l’énergie de l’endroit. Rien que le fait d’y repenser et j’y suis. J’ai l’énergie qui correspond à cet endroit, j’ai la sensation, j’ai l’émotion. Ca me fait du bien.

On trouve quoi à coup sûr dans votre frigo à la maison ?

Des citrons. Surtout des jaunes. J’ai besoin d’acidité. Le citron, j’en mets dans tout ; je le bois, je l’utilise comme assaisonnement. C’est un peu comme le Parmesan, c’est un produit magique aussi, ça marche avec plein de choses.

Votre état d’esprit le premier jour de Pépite, vous vous en souvenez ?

J’étais bien sûr très contente, très heureuse. Aussi très excitée de faire découvrir quelque chose que j’avais vraiment « sorti de mes tripes ». Et en même temps, j’étais anxieuse parce que je me demandais si les gens allaient comprendre, si Pépite allait plaire, si mon idée, si ce concept allait fonctionner. Et des craintes, j’en ai eu beaucoup. Le premier jour, j’ai d’abord eu ma famille qui est venue. Ils étaient huit. Ils connaissaient mon projet de A à Z depuis des mois. Ils sont arrivés et malgré tout ce qu’ils savaient, tout ce que je leur avait dit, toutes mes explications, ils n’en ont fait qu’à leur tête et ils n’ont pas suivi le concept ! (rires) Ils se sont pris toute la carte : en entrées, en plats, en desserts ! Sans partage ! Et là, je me suis dit, waouw !… Même si ma famille ne me suit pas, est-ce que ça va fonctionner ? J’étais remplie de doutes. Mais de suite, je me suis ressaisie, en me disant bien de suivre mon objectif et de réaliser mon truc comme je l’avais imaginé. Et lors de leur seconde visite, j’ai imposé à mes proches de se laisser faire, ils ont accepté et ont trouvé ça génial. Et voilà, maintenant, c’est parti. Mais pour certains, il a fallu au moins un essai pour comprendre, pour accepter.

Quel serait le message que vous voudriez faire passer par rapport à vote métier ?

Que le plus important, et là je suis dedans et j’en suis heureuse, c’est le partage. Parce ça rassemble plein de choses, ça donne une ouverture. Et je ne parle pas que de la découverte d’un vin : je parle de tout partager ! Même partager un plat. On naît avec ça. Enfants, on déposait le plat à même la table et on le partageait. La vie d’aujourd’hui, nous a éloigné et nous a coupé de ça. Et là, je propose donc de revenir à quelque chose qui est instinctif et je me rends compte que ce n’est pas forcément évident pour tout le monde. Il faut réapprendre aux gens à partager.
Quand j’ai eu l’idée de créer Pépite, j’ai pris une feuille blanche. Et les deux premiers mots que j’ai écrit sur cette feuille sont « partage » et « bien-être ». J’ai envie que les gens se disent que Pépite est un endroit où ils se sentent bien.
Mais jusqu’au bout, tu te poses des questions, et même si tu fais les choses le mieux possible, avec ton intuition profonde, tu te demandes si tu vas réussir à créer ça. Toujours avec ce doute de ne pas y arriver. Mais c’est aussi un doute qui te fait avancer. Des doutes, voire même des peurs, mais l’enthousiasme persiste et l’élan est toujours plus fort. C’est ce qui te persuade que tu es dans le bon, à chaque minute, chaque heure, chaque jour.
Ce que j’apprécie maintenant que j’ai Pépite, c’est de travailler sans pression. Toujours bien faire les choses, mais de manière complètement décontractée. Parce qu’avant, en tant que table étoilée, la pression était là. Personne ne nous la met cette pression, mais on se l’impose à nous-mêmes, à toujours vouloir aller vers la perfection et rien que la perfection. C’est épuisant, mentalement. Et on peut très bien garder cette exigence en restant cool. Comme j’essaie de le faire désormais.

Quelque chose que vous n’avez jamais dit sur votre métier ?

Je ne pense pas… Je suis quelqu’un d’assez franc. Je dis tout, je raconte tout au fur et à mesure.

La crasse à laquelle vous ne pouvez résister ? e5c0a429-1e4a-483c-8cc8-82e3b2db4f4e

Des lacets rouges sûrs. Et larges ! Et les rouges hein ! (rires) Je n’en achète pas tout le temps mais ça m’arrive. L’acidité à nouveau ! (rires)

Un truc que vous utilisez en cuisine ?

Masser les agrumes. Masser les citrons, masser les oranges, pour qu’ils donnent plus de jus. Les faire rouler sur la table avec la paume de la main ! C’est un truc tout con mais que j’ai appris sur le tard, alors que j’étais depuis bien des années dans le métier. Ca m’a fait sourire, je trouvais ça mignon. Et c’est un petit truc tout simple.
Sinon, un truc de sommelière, et je ne sais pas s’il existe vraiment « un » truc car chacun à ses petits trucs à lui… Ca va peut-être paraître bateau mais j’aime servir mes vins à température. Maintenant que la cave est ouverte chez Pépite, j’ai parfois peur que mes vins soient un peu trop hauts en température. J’ai donc toujours un seau d’eau fraîche près de moi. Un seau, quelques glaçons… Je suis un peu maniaque de la température des vins. Mais ceci dit ma température n’est peut-être pas la température de quelqu’un d’autre et je respecte les goûts de température du client aussi. Mais pour moi, c’est extrêmement important la température. On peut facilement passer à côté de quelque chose de magnifique à cause d’une erreur de température.

Un vin ?

Un grand souvenir, Petrolo di Galatrona 1997. C’était le millésime du siècle à l’époque en Italie. 100% Merlot, on dit que c’est le Petrus italien. Et c’est un souvenir… Waouw ! Je l’ai découvert quand je travaillais à l’air du temps lors d’une dégustation.

Pourquoi le vin et pas la cuisine ?

Bonne question… Et bien, confidence… et je ne sais d’ailleurs pas pourquoi je n’ai pas exploré cette voie, j’aurais voulu être nez. Je pense que lorsque j’étais ado, je me suis inconsciemment persuadée que c’était impossible. Je me disais que j’allais devoir aller à Paris., etc. Et c’est une de mes premières patronnes qui m’a proposé de suivre des cours d’oenologie, pensant que j’aimerais ça. Je me suis inscrite et ça a été une révélation immédiate… Waouw ! Les dégustations, les arômes, l’analyse, c’est tout ça qui me plait. Et malgré mon rôle plus « général » ici aujourd’hui chez Pépite, j’accorde toujours autant d’importance à la dégustation, on déguste au moins deux fois par semaine. Je n’aime pas la monotonie et avec le vin, je suis servie puisque le vin évolue sans arrêt. Je ne goûterai et je ne connaitrai jamais « tout » donc ça, j’adore. Et j’ai besoin de nouveautés, d’aller les chercher, de les faire venir à moi. J’ai besoin de mouvement, je n’aime pas les choses figées, sinon je m’ennuie.

Une musique ?

La musique fait partie de ma vie, il y en a partout, dans toutes les pièces. Je peux écouter du Bach, comme je peux écouter Benjamin Biolay, Vanessa Paradis, Angèle ou Metallica. Quand on veut se booster avant le service, on passe Unforgiven de Metallica… A fond ! Biolay, c’est plus tranquille, j’aime bien « Miss Miss ». Mais j’aime bien surtout les musiques joyeuses.

La dernière chose qui vous a fait rire ?

La spontanéité de ma fille. Elle me dit tellement de choses, tout le temps, de façon si spontanée. Elle me fait rire ! Encore ce matin dans la voiture, elle m’a fait rire. Elle a des avis si pertinents du haut de ses 9 ans. Je trouve ce qu’elle me dit tellement mignon, tellement vrai, tellement juste. Elle est vivante. Elle danse, elle imite des chanteuses, comme Angèle par exemple. Quand elle chante Angèle à tue-tête dans la voiture avec son casque sur les oreilles ! (rires) Sa joie de vivre me fait sourire, la voir pétillante me rend heureuse. Elle m’ouvre les yeux et me ramène à de belles choses, comme le retour à la nature et le retour aux animaux. Je viens d’aller avec elle, et c’était l’un de ses rêves, nager avec les dauphins. Un truc auquel je n’aurais pas pensé. Et pendant les vacances, on est allées nager dans la mer avec les dauphins. Magique !

La dernière chose qui vous a rendu triste ?

… Un amour qui n’a pas pu être vécu jusqu’au bout.

Vos premières émotions de table ?

Ma grand-mère paternelle m’a tant donné… C’est elle qui m’a initié à la cuisine, au goût. Elle savait que c’était mon rêve d’ouvrir un restaurant. Et la dernière chose qu’elle m’a dit avant de s’en aller, alors que j’étais en train de lui dire au revoir, juste avant de refermer la porte et de la quitter ; elle m’a arrêtée et m’a dit : « réalise ton rêve ». J’ai refermé la porte. Et elle est partie.
Souvent, elle nous préparait des choses toutes simples. Le dimanche soir par exemple : une fricassée, un oeuf, avec un morceau de lard, une salade de céleri-rave avec de la mayonnaise, les squinées. Et puis, son bouillon, sa potée. Elle faisait mettre ses viandes au saloir chez le boucher. On écrasait nos pommes de terre dans l’assiette, avec la viande, les légumes. Ses tartes, ses galettes aussi. Quand elle préparait sa pâte à galettes, on adorait la pâte crue. Elle en laissait un petit pot dans le frigo, et quand on arrivait chez elle, on allait manger un peu de la pâte crue qu’elle nous avait gardé. Ce sont des goûts qu’on n’oublie jamais.
Et les croustillons ! Que je perpétue aujourd’hui ici. J’allais en vélo à la foire de Namur, j’en prenais un gros paquet, je le ramenais sur mon porte-bagage. J’allais chez elle, et on se régalait de nos croustillons avec du sucre impalpable. Et aujourd’hui, c’est magique. Il y a Jean… Jean Busch (de la Pâtisserie gantoise) qui, pendant tout le mois de juillet, pendant la foire de Namur, vient tous les soirs avec ses croustillons chez Pépite. Il passe aux tables et offre un croustillon aux gens. C’est magique !
Et on les fait vraiment découvrir car certaines personnes ne connaissent pas les croustillons. Parfois, j’ai des gens, un peu plus bourgeois vais-je dire, et bien ils n’en ont jamais mangé de leur vie. Parce qu’enfants, ils ne pouvaient pas aller à la foire, leurs parents ne voulaient pas. Aller à la foire, ce n’était pas bien, c’était trop populaire.

Le geste simple du quotidien qui vous fait du bien ? JJ5_0552 copie

Le matin, quand Juliette se réveille, je la rejoins dans sa chambre, je la prends dans mes bras, je l’embrasse.

Une cuisine ?

Je n’ai pas une cuisine préférée. J’aime la cuisine italienne, j’aime la cuisine asiatique, j’aime la cuisine française. Mais à mes yeux, le plus important et peu importe la cuisine, c’est qu’il faut de la fraîcheur dans ce que je mange. Ce qui est très important à mes yeux aussi, c’est le contraste, le contraste entre les consistances. Sinon, je trouve ça fatiguant à manger. Il doit y avoir du relief dans le plat, qu’il soit vivant au niveau des textures, au niveau de l’assaisonnement, au niveau des cuissons. La cuisine vive, la cuisine du cru, j’aime beaucoup. Mais pas que ça, évidemment. Mais c’est une cuisine qui m’a fait du bien.

Votre meilleur souvenir de table ?

Pierre Gagnaire. Il y a plus de vingt ans… Et j’ai encore aujourd’hui en bouche les goûts de tout ce que j’ai mangé, vingt ans plus tard. C’était un menu dont le thème devait être l’amertume. On a mangé une huître, j’ai encore la mer en bouche. On a mangé un dessert au chocolat, j’ai encore l’amertume en bouche. C’est dingue d’avoir encore les goûts aussi présents vingt ans plus tard ! Ces émotions… J’y suis retournée une seconde fois, et c’était tout aussi fabuleux. Et une telle connaissance des produits. Tu as le monde dans l’assiette. J’adore.

Propos recueillis par Laurent Delmarcelle à Namur, le 18 janvier 2019.

L’actualité de Catherine Mathieu, c’est Pépite – Cave à Manger – Rue Notre-Dame, 44 – 5000 Namur – Tél. : +32 (0)81 22 91 81
Ouvert de 12h à 14h et de 19h à 22h 30. Fermé le samedi, le dimanche et le mercredi midi.

« J’aurais voulu être nez. »