Goût : Pouvons-nous éduquer notre palais ? Comment agir dessus ?

9 mai 2016

Génétique, culture, éducation : quel rôle jouent-ils dans la formation de nos goûts ?

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C’est ce que l’écrivain et journaliste anglaise Bee Wilson aborde dans son nouveau livre First Bite. « Le sous-titre How We Learn to Eat – Comment apprenons-nous à manger – est arrivé plus tard. Ca été comme une révélation, parce qu’au début, je ne pouvais pas croire que manger pouvait s’apprendre. » Les adultes aussi peuvent apprécier des goûts exotiques complètement nouveaux. Pour cela, il existe des astuces comme la technique des Tiny Tastes (petites bouchées) qui amènent les petits à manger de la nourriture saine comme s’il s’agissait de gourmandises : voilà quelques unes des découvertes que Bee a faites au cours de ses recherches.

Comment et quand se forme le palais d’un enfant ? Puis comment évolue-t-il ?

La première modalité, et la plus importante, selon laquelle un enfant élabore ses goûts est au travers de la mémoire. Le problème est que la majeure partie des souvenirs se créée tellement petit qu’on ne se rend même pas compte de les avoir. Un enfant développe ses papilles gustatives avant même de naître et le liquide amniotique lui laisse des souvenirs : on sait par exemple que si une femme enceinte mange de l’ail, le liquide amniotique prendra le goût de l’ail. Une expérience incroyable a démontré que les enfants dont les mères avaient bu beaucoup de jus de carottes pendant les derniers mois de grossesse préféraient les céréales aux carottes au moment du sevrage.

Pourquoi aimons-nous certains aliments et en détestons nous en d’autres ?

Voilà un des plus grands mystères de la nature humaine. Il y a sûrement une composante biologique. Tous les enfants naissent en aimant les goûts sucrés et en détestant les goûts amers et on le comprend puisque le lait est un aliment particulièrement sucré. Mais il n’y a rien de physiologique qui justifie qu’une personne soit destinée à grandir en aimant le chocolat et en détestant les brocolis. Certaines personnes portent un gène qui leur fait ressentir le coriandre avec un goût très désagréable de savon, alors que pour d’autres, il a un bon goût d’herbes et de frais. Il y a aussi les « super-goûteurs » pour qui l’amer est encore plus fort. Mais ce qui forme le plus nos préférences gastronomiques, c’est clairement l’environnement dans lequel nous grandissons. Dès notre enfance mais encore après, nous recevons tellement de signaux de notre culture sur quels aliments sont des aliments plaisirs (le sucre) et des aliments du devoir (les légumes). Par ailleurs, nos goûts font partie de notre identité, une façon de se distinguer de sa famille et de ses amis. Il suffit de dire « Je suis carnivore » ou « Je ne supporte pas le réglisse » que nous réaffirmons nos goûts. Il est d’ailleurs difficile de les changer sans avoir l’impression de perdre quelque chose, mais c’est possible.

Que devraient faire les parents pour élever leurs enfants sains et curieux au goût ?

J’ai trois enfants et maintenant je comprends que j’ai fait de nombreuses erreurs dans leur éducation. La chose la plus importante que peuvent faire des parents et de faire des repas un moment ludique. L’objectif final n’est pas d’obliger l’enfant à manger un plat nourrissant qu’il déteste, mais de l’aider à devenir la personne qui fera des choix alimentaires corrects quand il grandira. Cette nouvelle technique extraordinaire, appelée Tiny Tastes a fonctionné avec mon fils le plus compliqué, qui désormais mange avec plaisir des aubergines, du poivron, du chou, en bref tous les légumes. L’idée de base est si vous arrivez à réduire le nouvel aliment de la taille d’un grain de riz ou d’un petit pois, l’enfant peut alors le mettre dans la bouche. Il faut alors aussi le féliciter s’il le lèche ou s’il le crache. Je sais que ça semble trop simple pour être vrai, mais répété une dizaine de jours, le goût commencera à être apprécié.

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Est-il possible de changer nos goûts alimentaires une fois adulte ?

Oui, mais c’est plus une question de psychologie que de nutrition. Le plus grand obstacle est le manque de motivation. La recherche montre que même les supertasters peuvent apprendre à apprécier des endives ou du céleri s’ils essaient souvent en adoptant une attitude positive. La clé est l’approche au travers du plaisir afin de modifier nos préférences en vue d’atteindre un changement à long terme jusqu’à apprécier un plat qui nous fait du bien plutôt qu’une assiette de frites. En Suède, j’ai participé à une « taste school » pour personnes âgées : des personnes qui avaient en moyenne 75 ans pouvaient grâce à des cours intensifs de cuisine, apprécier de nouvelles saveurs comme le fenouil et la patate douce au point de retrouver du plaisir à les manger.

Pourriez-vous partager avec nous certaines des plus belles histoires liées à la nourriture et aux souvenirs ?

Nous sommes fondamentalement des consommateurs émotionnels. Un groupe de scientifiques de la Purdue Univesity a fait goûter à un groupe de personnes du jus de pommes. Ils ont découvert que réchauffé et présenté comme une soupe de pommes dans un bol, ils étaient plus rassasiés que le jus bu froid dans un verre. Les calories étaient les mêmes mais la psychologie, non. J’aime bien cet exemple parce qu’il montre à quel point notre façon de manger est irrationnelle et à quel point nous mangeons autant avec la tête qu’avec l’estomac. Nous associons la soupe à quelque chose qui peut nous rassasier, et c’est vrai, même si ce n’est qu’un jus de pommes.