Grand entretien avec le franc-tireur Thierry Marx : « Je ne fais pas partie du monde d’Alain Ducasse ou de Yannick Alléno. Ils m’acceptent mais on me fait comprendre que je suis différent »

15 mai 2015

Homme libre, franc-tireur, médiatique, Thierry Marx est un personnage atypique dans l’univers des chefs. Faussement consensuel, sa ronde bonhomie cache bien des aspérités. L’homme dérange. Grand entretien franc et direct avec Thierry Marx.

Marx-Thierry

Récemment, le sujet des violences en cuisine a été omniprésent dans les médias et dans les cuisines. Vous vous êtes beaucoup engagé sur cette question, en mettant en avant le problème du management. Qu’en est-il au sein de votre école créée en 2012 à Paris ?

THIERRY MARX – J’ai mis en place une formation de commis de cuisine pour des publics en reconversion, éloignés de l’emploi et qui ont des parcours de vie empiriques. Nous leur apprenons 80 gestes de base et 90 recettes du patrimoine culinaire français. Je peux vous assurer que ce n’est pas un public qui a idéalisé le métier de cuisinier à cause du relief médiatique actuel. Ce qui malheureusement n’est pas le cas de tous ceux qui veulent entrer dans le métier.

Dans votre école, est-ce que l’on explique cela, cette différence entre la réalité du terrain et l’image médiatique de la cuisine ?

C’est expliqué immédiatement. Outre la formation aux gestes de base, nous les formons à ne pas être du personnel corvéable à merci. Personne n’a à accepter d’enfreindre la loi : travail dissimulé, black, violences en tout genre. Nous connaissons tous le fonctionnement du métier, avec des personnes qui, par manque notamment d’aptitude au management, dévient facilement.

Est-ce que cette formation au management a évolué avec le temps ?

Je regrette ce manque de formation. Aujourd’hui, celle-ci est cosmétique. Si je reviens 30 ans en arrière, il y avait une formation plus importante au sein même des restaurants. Malheureusement, certains ne prennent plus le temps de la faire.

Aujourd’hui, selon vous, la priorité est donnée à la recette et à la cuisine, et on oublie la dimension humaine dans la formation des jeunes ?

Mais la base du métier, c’est quoi ? Ce n’est pas la connaissance des recettes, la base c’est la maîtrise du geste, la cuisson et la gestion du temps. Une fois que le jeune maîtrise ces trois bases-là, il peut y faire entrer toutes les recettes du monde. C’est comme pour le dessin : il faut d’abord maîtriser le trait avant de maîtriser la forme. Mais la réalité du terrain est différente : on se retrouve avec des petits Mozart dans tous les sens, qui jouissent d’une mise en avant médiatique incroyable, mais qui rament pour trouver une équipe qui les entoure.

Par delà la question du management, il y a également une pression considérable sur les épaules des brigades, que ce soit en interne par la hiérarchie ou en externe par l’exposition permanente à la critique…

Cette pression s’est amplifiée pour deux raisons. D’abord parce que l’on arrive de plus en plus jeune aux postes à responsabilité. Hier, on prenait une place de chef en moyenne vers 35 ans ; aujourd’hui, c’est plutôt autour de 25 ans. A cet âge-là, vous n’avez pas la même expérience, le même recul. Ensuite, tout le monde s’improvise critique. Chaque client peut potentiellement vous dézinguer. Là encore, c’est une question de management, du management sur le terrain. C’est là avant tout qu’il s’apprend, dans cette confrontation au quotidien car nous avons basé le métier de cuisinier sur la peur : peur de la pression, peur de perdre son boulot, peur dans le modèle même de management puisque l’on a mis en avant le modèle du chef gueulard pour se faire respecter.

Selon vous, le fait que l’on soit chef ou à des postes à responsabilité de plus en plus jeune représente un handicap ou une force ?

Tout le monde veut aller le plus vite possible…

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Par Franck Pinay-Rabaroust – Atabula.com