Les revers de l’étoile

14 mars 2014

Recevoir une étoile du Michelin est le rêve de nombre de restaurateurs. Outre le prestige et l’éclat que cette reconnaissance offre aux chefs, il est clair que l’impact économique sur le chiffre d’affaires des restaurants est une réalité. On cite des croissances allant de 30 à 70 %. Pourquoi une telle différence ? Entre un restaurant situé dans un petit village au coeur des Ardennes ou dans le centre d’une grande ville, la fréquentation des jours de semaine, et surtout le midi, est fort différente. Il est indéniable que l’étoile provoque une affluence réelle dans les restaurants élus.
L’étoile a cependant des retombées parfois moins heureuses. Voici deux cas révélés cette semaine en Belgique. Deux exemples bien différents qui mettent l’accent sur les revers de l’étoile Michelin.

Claudio Dell’Anno a reçu, il y a quatre mois, sa première étoile Michelin pour son restaurant Ciccio à Knokke. L’homme en est très heureux. Mais désormais, il découvre au quotidien l’un des inconvénients majeurs lié à cette célébrité.
Dell’Anno, qui a remporté en 2009 l’émission télévisée à succès en Flandre ‘Mijn Restaurant’, dit qu’il est infiniment reconnaissant envers Michelin d’avoir réalisé son rêve. Il est pourtant ennuyé et même navré. « Depuis que j’ai mon étoile, je suis visité par un autre public, un public typé Michelin, un autre genre de touristes. Bien que l’affluence dans mon restaurant ait augmenté, mes ventes ont chuté de quinze pour cent ! ».
Le cuisinier d’origine italienne explique la différence entre ses clients réguliers et ces touristes de ces soi-disant étoiles. « Mes clients réguliers sont des hédonistes et n’hésitent pas à boire une ou plusieurs bouteilles de vin. Ils mangent aussi beaucoup à la carte. Les « touristes Michelin » en revanche, dépensent moins d’argent. » dit Dell’Anno.

Le chef ne se veut pas ingrat. Il a réalisé son plus grand rêve . Mais vu la situation intéressante de son restaurant Ciccio à Knokke, il a construit une clientèle régulière qui dépense plus que les visiteurs sporadiques.
Les « touristes Michelin » réservent souvent longtemps à l’avance, les gens qui veulent manger spontanément pendant les vacances ou les week-ends peinent à obtenir une table.

Dell’Anno espère que les « chasseurs étoiles », comme lui ont dit des collègues, poursuivront leur route un peu plus loin. Ce qui est souvent le cas, quelques mois après l’effet « étoile ».

Autre exemple. Frederik Dhooge est le chef de son restaurant « ‘t Huis van Lede’ à Wannegem-Lede. Il est étoilé Michelin et a une côte honorable de 15/20 au Gault & Millau.
La semaine dernière, il a écrit une lettre aux gens de Michelin en leur annonçant qu’il rendait son étoile. « Je suis reconnaissant de ce qu’ils ont fait pour moi », a-t-il souligné. « Ma décision n’est pas empreinte de rancune. Je voulais retrouver à nouveau mon indépendance et faire mon propre truc ». Et c’était devenu difficile pour lui avec la présence de sa maison dans les guides. « Je suis un chef classique. Je veux me sentir moi-même dans ma cuisine et pouvoir servir un poulet parfaitement rôti. Ma cuisine est une cuisine classique : le meilleur morceau de viande, avec de la sauce, une préparation de pommes de terre et des légumes servis sur une assiette blanche ronde et plate. Pas une peinture. »

« Mon style n’est pas toujours apprécié, certaines personnes pensent que ce que je propose ici ne répond pas à l’image d’un restaurant étoilé. Ma classique croquette de crevettes par exemple, elle est simple, elle est classique, ils s’attendent à une version moderne. Ce n’est pas ce que je veux présenter. J’ai le plus grand respect pour mes collègues qui le font différemment, mais je veux travailler comme je le veux ! « .
Dhooge ne ​​s’est pas révélé du jour au lendemain. » Je me bats ici depuis quatre ou cinq ans. Une étoile n’apporte pas tout. L’avenir nous dira si j’ai perdu des clients ».

Frederik Dhooghe avoue avoir réfléchi quatre ans avant de demander « par lettres recommandées » de ne plus figurer au Michelin et au Gault-Millau. « Si c’est son choix, nous le respecterons, a déclaré Simine Zijm, une porte-parole du Guide rouge pour le Benelux. Mais pour cette année c’est trop tard, puisqu’il figure dans l’édition 2014. »

‘T Huis van Lede n’est pas la première maison belge qui rend son étoile. Fin de l’année dernière, Christophe Van den Berghe du restaurant Jardin à Knokke avait lui aussi tourné le dos au guide rouge.