Une journée avec le vigneron jugé pour avoir dit non aux pesticides

22 février 2014

Source Rue89NOuvelObs.com

Emmanuel Giboulot, jugé lundi, risque six mois de prison et 30 000 euros d’amende pour avoir refusé d’utiliser des pesticides qu’il jugeait inutiles et dangereux pour la santé. Il parle d’« omerta complète ».

(De Beaune, Bourgogne) Emmanuel Giboulot sera jugé lundi 24 février au tribunal correctionnel de Dijon. Le vigneron de 52 ans risque six mois de prison et 30 000 euros d’amende pour avoir refusé de pulvériser des pesticides sur ses vignes de Côte-d’Or (Bourgogne).

Selon lui, ce traitement préventif obligatoire (décision par arrêté préfectoral suite aux recommandations des instances agricoles locales) contre une maladie de la vigne – la flavescence dorée – était en l’occurrence non seulement inutile, mais surtout dangereux pour l’environnement et les populations.

Lundi, il demandera la relaxe et espère une importante mobilisation citoyenne sur cette question qui relève d’abord, pour lui, de la santé publique.

A quelques jours de son procès, alors qu’une pétition de soutien a déjà réuni plus de 400 000 signatures, rencontre dans ses vignes sur les hauteurs de Beaune.

« Bio » de père en fils depuis 45 ans


Les vignes d’Emmanuel Giboulot ressemblent à un jardin : endormi en ce mois de février, couvert d’un fin tapis d’herbes rases, il pétarade de fleurs et de touffes d’herbes épaisses dès le printemps et jusqu’à la fin de l’été.

Un schéma de culture volontairement plus libre, qui a mis des années à se mettre en place dans sa famille :

« Dans les années 50, mon grand-père maternel avait compris que l’avenir se jouerait dans les appellations. Il voulait acheter à Pommard mais il est tombé malade, il fumait trop.

Mon père, ensuite, a eu une ferme en polyculture, avec une vigne qui subsistait. A la fin des années 50, il était le premier dans la commune à utiliser les désherbants, les engrais. Il testait des produits chimiques… Un jour, il a fait le choix d’arrêter cette agriculture dite moderne.

Fin des années 60, il se met donc à appliquer une méthode d’agriculture biologique. C’était très dur, parce qu’il y avait peu de références, pas de conseil indépendant, et une forme d’enfermement dans la méthode. En 1978, mon père a repris de l’autonomie et fait évoluer ses pratiques, mais ça a été difficile de maintenir la ferme à flot. »

S’appuyant sur l’expérience de son père, Emmanuel Giboulot a 23 ans quand il se lance à son tour :

« En 1985, j’ai eu l’opportunité de reprendre une parcelle de 80 ares sur la montagne de Beaune. Dès que je récupérais une parcelle, je la passais en bio directement. Première parcelle en 1985. Puis, j’ai repris une partie à côté. 38 ares de mieux en 1991. Et 12 ares de blanc que j’ai replanté sur le coteau opposé. 1993, Rully. Puis Côtes de Nuits. 1997, sur la montagne de Beaune, la parcelle des Pierres blanches… Aujourd’hui, j’ai treize vins différents. Je fais 38 000 bouteilles une année normale. »

Il fera probablement moitié moins en 2012 et 2013, deux millésimes difficiles. Ce qui le mettra dans une situation impossible s’il est condamné à payer une forte amende.

« Le truc à ne pas dire » dans une foule

POURQUOI IL NE FALLAIT PAS TRAITER EN CÔTE D’OR
Emmanuel Giboulot explique : « Sur le département de la Côte-d’Or, on n’avait pas de flavescence connue jusqu’en octobre, où on a détecté trois cas liés à des greffes, sans foyer de contagion. Le traitement généralisé n’était pas justifié. Mais toute la Côte de Beaune et la Côte de Nuits ont dû traiter en 2013. Quand je rentrais le soir, ça empestait les traitements chimiques… Moi, je ne suis pas casse-cou. Si demain on a un foyer qui explose près de chez nous, d’accord. Mais il faut que ça se justifie. »

Si Giboulot se retrouve en première ligne aujourd’hui, ce n’est pas par hasard :

« En mai, il y a eu une réunion au lycée viticole de Beaune, l’idée étant d’apporter un éclairage différent sur la problématique de la flavescence. Je suis intervenu pour parler d’approches alternatives dans le Vaucluse.

A un moment, j’ai demandé : “Et si on ne traite pas, qu’est-ce qu’on risque ?”

Et ça, c’était le truc à ne pas dire au milieu de 200 personnes.

J’ai eu la naïveté de croire que je passerais au travers des contrôles. »

Après un premier report, il sera finalement contrôlé le 30 juillet, un mois après l’arrêté préfectoral qui avait imposé le traitement de l’ensemble des vignobles de la Côte-d’Or :

« Il y avait vraiment une volonté de me contrôler. Mais je n’ai pas acheté les produits pour faire semblant, ça n’aurait pas été cohérent. »

Le contrôleur a commencé à passer en revue les différentes installations, le local phyto, le « pulvé »…

« Et là, je lui dis : “Je n’ai pas traité – Pardon ? !” Il s’est un peu étouffé : “Là, ça ne va pas aller.”

Il m’a fait signer un premier document et le 3 août j’ai reçu un recommandé. Dans le bas de la page, il y avait une référence au transfert du dossier au parquet. »

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