Depardieu se met à table

26 août 2013

Source : LeFigaroMagazine.fr

On le prétendait définitivement fâché avec la France depuis son coup de sang de l’automne dernier et les sermons des bonnes âmes gouvernementales à son encontre. On le pensait perdu pour notre cinéma national et décidé à ne plus tourner que dans des langues plus ou moins exotiques dans des contrées ne l’étant parfois pas moins: en Mordovie, en Tchétchénie, au Monténégro, aux États-Unis. En attendant la sortie de «Welcome to New York», le sulfureux film d’Abel Ferrara dans lequel il incarne DSK, son rôle dans l’amusante comédie «Les Invincibles» (sortie le 18 septembre) ajoutait à nos craintes: il y incarne un petit arnaqueur français réclamant la nationalité… algérienne!

On avait heureusement tort. Non seulement notre Cyrano n’est pas prêt à abandonner son passeport, ses amis et ses activités commerciales en France, mais il va y enchaîner à nouveau les tournages. Avant que Simon Abkarian et Fanny Ardant ne l’accueillent sur leurs plateaux respectifs, on aura pu l’apercevoir à Paris ces derniers jours dans le costume années 20 de Jules Rimet, fondateur de la Coupe du monde de football, auquel Frédéric Auburtin consacre un biopic qui sortira lors du Mondial brésilien, l’an prochain.

Évidence: même s’il s’était éloigné du septième art tel qu’on le pratique aujourd’hui en France, nul doute que le comédien qui a incarné Vatel au cinéma aurait eu toutes les difficultés du monde à abandonner ce pays dont la cuisine – des produits jusqu’aux plats – continue à lui procurer des émotions et un plaisir intacts. «Je suis un bandit, admet-il dans l’entretien exclusif qu’il a accordé au “Figaro Magazine”, mais un bandit du goût!».

«La gastronomie ne s’apprend pas, elle se vit»

Le Figaro Magazine – On imagine mal le ­Depardieu des Valseuses mitonner des petits plats. Avez-vous découvert la grande cuisine avec les grands rôles?
Gérard Depardieu – J’ai toujours été attiré, d’abord par la vie, et donc par la gastronomie. Ou plutôt: la «nourriture». La «gastronomie» vient après. La «nourriture» a toujours été pour moi quelque chose d’évident. Comme la beauté des choses, la gastronomie ne s’apprend pas ; elle se vit. J’ai grandi dans les campagnes, j’ai tué – et salé – les cochons. J’ai toujours eu du goût pour la «nourriture». Même quand je n’avais pas d’argent – et ma famille n’avait pas d’argent. Mon père faisait toujours des civets de lapin ou de garenne, qu’il braconnait. Ce qui comptait, c’était simplement le temps et le plaisir qu’il avait à les cuisiner. Il préparait aussi des abats: des poumons, du «mou». En général, le «mou» va dans les boîtes pour chiens. Nous, on les mangeait, travaillés en civet. C’était très, très bon. Cela ressemble un peu aux ris de veau, finalement. La gastronomie, pour moi, a toujours existé ; même avec un morceau de mou.

Vous cuisinez aussi des abats?

Je cuisine des civets de rognons, des foies, etc. Ils ­deviennent des plats succulents! D’ailleurs, au Moyen Age, les riches ne mangeaient que les abats, les tripes, les ris de veau, les couilles de mouton, les crêtes de coq… Tout cela faisait partie de la grande gastronomie. On jetait les muscles! Les pauvres mangeaient les rosbifs et les gigots d’agneau! La cuisine des abats, tout comme la cuisine des restes, est formidable. De même que la cuisine du rassis ou du séché comme en Norvège, avec le poisson, ou en Chine…

Vous défendez les abats, parfois montrés du doigt. Pensez-vous que notre époque soit aussi trop sévère avec le gras?

Certains ne mangent pas le gras dans les jambons de Parme ou les pata negra, ils ont tort! On ne doit pas manger que du gras. Mais, en Italie, par exemple, on mange du lardo di Colonnata, et c’est pourtant du gras. Les gens ont des idées préconçues idiotes. Avant, on trouvait des viandes avec un gras persillé, qui lui donnait son goût. Aujourd’hui, les viandes ne sont plus grasses. Elles deviennent insipides, à part dans la limousine. Mais plus, hélas, dans la blonde d’Aquitaine… Cette psychose du gras est absurde un peu comme celle qu’a créée ce terroriste (Richard Reid, ndlr) qui a planqué des explosifs dans ses chaussures et qui fait que, depuis, tout le monde doit se déchausser avant de prendre l’avion!

La cuisine française est-elle toujours une grande cuisine?

La cuisine française est réputée, car, depuis Vatel (1631-1671), on a prêté attention à la présentation et à l’accommodation des plats. Je pense que les Anglais faisaient une très bonne cuisine à la même époque. D’ailleurs, ils mangeaient encore leur rosbif cru. Avant de le faire bouillir plus tard…

Vous pouvez donc bien manger partout dans le monde. La France n’a plus sa place à part?

Non. Et certainement pas cette France où les politiques font exactement ce à quoi le reste du monde les pousse: chasser l’industrie… (Il s’interrompt pour ­répondre à son portable. Après quelques secondes de ­silence, il maugrée: «No, Gérard is not here» avant de raccrocher sèchement). Les classements internationaux des meilleurs cuisiniers placent la France 20e ou 25e… Je pense plutôt à ces cuisiniers japonais ou ces Italiens, à côté de Parme… Moi, ce qui m’excite, c’est d’aller dans une trattoria italienne, chez Gemma (à New York, ndlr), par exemple, qui me fait ses pâtes et où je peux boire le vin d’Abruzzo, que je vais choisir moi-même. Et c’est extraordinaire! Tu sors léger comme un papillon. Le luxe, c’est de chercher les gens, de les regarder dans les yeux et de simplement écouter ce qu’ils ont envie de me faire. Je ne leur ­demande rien. Ils le font. Mon luxe, c’est de leur dire «merci».

Lire la suite de l’interview ici.