La cuisine moléculaire célèbre ses 20 ans

21 mars 2008

A quelle température un oeuf cuit-il ? A quoi sert l’azote liquide en cuisine ? Depuis vingt ans, des chercheurs se penchent sur ces questions tandis que des chefs en quête de nouveaux horizons culinaires invitent la science derrière les fourneaux avec la cuisine moléculaire.Avec ses « fritures polaires » à l’azote liquide, ses aliments déstructurés, ses mousses, écumes et autres gelées, ses techniques inédites comme la « sphérification » qui permet de fabriquer des billes dont la saveur explose en bouche, la cuisine moléculaire innove de manière parfois spectaculaire et divise les gastronomes.

Le terme « gastronomie moléculaire et physique » a été créé au printemps 1988 par le physicien anglais Nicholas Kurti et le chimiste français Hervé This qui étudiaient tous les deux depuis des années les phénomènes se produisant lors des transformations culinaires. Le 20e anniversaire de cette discipline fait l’objet d’un séminaire ce jeudi à Paris.

Hervé This a consacré une thèse, de nombreux livres et colloques à la « gastronomie moléculaire », devenue son cheval de bataille.

La démarche a séduit des chefs qui se sont lancés dans la recherche de nouvelles saveurs, textures et formes en introduisant dans leur cuisine des technologies et des produits relevant plutôt jusque-là de laboratoires scientifiques, comme les perles d’alginate de sodium, le chlorure de calcium, l’azote à moins 196 degrés –qui permet notamment de fabriquer des glaces instantanées.

Le Catalan Ferran Adria est devenu le plus célèbre représentant de ce mouvement même s’il rejette le terme « cuisine moléculaire », lui préférant celui d' »avant-garde créative ».

Dans son restaurant El Bulli à Rosas (Espagne), ce triple étoilé Michelin propose une cuisine dont les piliers sont « le goût, les contrastes de températures et de textures », et surtout « le plaisir des six sens, le sixième sens étant l’émotion, la sensibilité ».

Le chef (trois étoiles) Pierre Gagnaire, qui « met en cuisine » tous les mois une invention d’Hervé This, insiste aussi sur la primauté du goût et de l’émotion. « Il ne s’agit pas de mettre la chimie au-dessus de l’art mais de donner à l’art culinaire les moyens de son expression », souligne-t-il sur son site internet.

La cuisine moléculaire, « c’est surtout pas » des éprouvettes et des seringues, insiste Thierry Marx, chef (deux étoiles) du Château Cordeillan Bages à Pauillac (Gironde). « Ce qui m’intéresse là-dedans, c’est comment on emmène un produit plus loin, en changeant un peu les limites de nos connaissances », explique l’inventeur de la quiche lorraine liquide et du saucisson virtuel.

Thierry Marx déplore « l’obscurantisme de (sa) profession ». Lui-même vient de mettre au point des billes encapsulant deux saveurs avec un spécialiste des colloïdes de l’Ecole Supérieure de Physique et de Chimie Industrielles de la Ville de Paris.

La cuisine moléculaire « n’est pas en opposition avec la cuisine traditionnelle », estime-t-il. La cuisine a toujours « collé à la société dans laquelle elle était ». La cuisine moléculaire est peut-être « en train de devenir la cuisine traditionnelle des années 2007 à 2012 », même si elle est aussi critiquée actuellement que la « nouvelle cuisine » dans les années 70.

Guy Savoy, autre trois étoiles, est circonspect: favorable à la cuisine moléculaire « en tant que nouvelle voie » enrichissant le paysage culinaire, il la juge « incompatible avec la cuisine française » qui est « une cuisine de produit dans ses consistances ». « Là, on n’a plus la consistance originelle du produit », résume-t-il. (Source afp)

Pierre Gagnaire et Hervé This