Hôtel de luxe cherche chefs étoilés désespérément

21 mars 2008

Restaurant thaïlandais offre 8.000 dollars (5.000 euros) à chef étoilé pour préparer un dîner de gala. L’offre de l’hôtel-restaurant Lebua de Bangkok semble alléchante, mais une vingtaine de cuisiniers de renom dans le monde ont déjà refusé de participer à ce que la presse décrit comme un indécent étalage de luxe sur fond de pauvreté.L’hôtel Lebua a déjà défrayé la chronique en organisant l’an dernier un festin, présenté comme le repas d’une vie, à 25.000 dollars (19.000 euros) le couvert. Six chefs étoilés au prestigieux guide Michelin avaient fait le voyage depuis l’Europe pour concocter ce dîner à dix plats, préparés avec les mets les plus fins et accompagnés de vins rares.

Le 5 avril, l’hôtel de luxe compte proposer à nouveau un repas similaire, cette fois gratuitement, et a invité 50 de ses meilleurs clients pour l’occasion. L’établissement espère convaincre trois chefs étoilés au Michelin de préparer ce dîner de haute volée.

Mais il y a un hic! Avant le festin, les invités seront transportés par avion dans un village pauvre du nord de la Thaïlande et passeront l’après-midi dans cet environnement de misère. L’hôtel explique que c’est pour la bonne cause.

Son PDG, Deepak Ohri, souligne que les riches convives -des banquiers, gérants de casino et autres hommes d’affaires venus d’Amérique, d’Europe et d’Asie- seront invités à faire des dons pour financer une école, une clinique et d’autres infrastructures dont le village a besoin. « Nous voulons aider une région du monde où la plupart des gens ne sont jamais allés », plaide M. Deepak.

Reste que le dîner et l' »excursion » de bienfaisance coûteront à l’hôtel la bagatelle de 300.000 dollars (190.000 euros). Trois chefs français avaient initialement accepté l’offre du Lebua -Alain Soliveres (deux étoiles), Jean-Michel Lorain (trois étoiles) et Michel Trama (trois étoiles)- mais se sont désistés après le tollé suscité par l’annonce du projet dans les médias français. Des journaux ont présenté l’événement comme un indécent voyage de riches chez les pauvres.

« On ne peut pas aller voir des gens qui vivent dans la misère et ensuite retourner à Bangkok pour manger du foie gras et des truffes », a souligné Alain Soliveres. « Cela a déclenché un énorme scandale en France. Je n’avais pas d’autre choix que de boycotter le repas », a-t-il ajouté dans un entretien téléphonique à l’Associated Press. De son côté, Jean-Michel Lorain a envoyé un courrier électronique à la direction du Lebua le 7 mars qualifiant l’événement de « malsain et moralement injustifiable ».

Les dirigeants du restaurant assurent que le repas aura bien lieu. Mais les chefs étoilés semblent désormais réticents à accepter son offre qui, outre les 8.000 dollars proposés pour quelques heures de travail, comprend l’aller-retour en avion et un hébergement de luxe à Bangkok.

« Nous sommes retournés en France et avons demandé à 15 autres chefs, et ils ont tous refusé », a reconnu M. Deepak en début de semaine. « Nous avons ensuite contacté un chef trois étoiles en Allemagne, mais il vient d’envoyer un e-mail expliquant qu’il a peur de perdre sa troisième étoile. » Le même scénario s’est reproduit avec quatre chefs officiant dans des restaurants étoilés au Japon.

Le guide Michelin n’a pas fait de commentaire sur le dîner controversé, mais récuse l’idée qu’un chef pourrait perdre une étoile parce qu’il l’aurait préparé. « Le guide Michelin décerne des étoiles uniquement sur la base de ce qui est dans l’assiette dans le restaurant d’un chef », souligne Jean-Luc Naret, son directeur.