Ce fut sans doute le moment le plus émouvant de la cérémonie du Gault&Millau, hier. Quand toute une salle se lève, ce n’est pas seulement pour applaudir, c’est pour remercier.

Une standing ovation vibrante, symbole d’un respect unanime et d’une émotion partagée autour d’une figure légendaire de la gastronomie belge ; une communion absolue entre les chefs de toutes générations et celui qui est une légende vivante de notre gastronomie nationale.
Roger Souvereyns, l’alchimiste du goût belge
Figure tutélaire de la gastronomie belge, Roger Souvereyns incarne plus de septante ans d’élégance culinaire, de rigueur et de créativité. Né en 1938, le chef limbourgeois a marqué l’histoire avec son mythique Scholteshof, installé dans une ferme du XVIIIᵉ siècle à Stevoort, près de Hasselt. C’est là qu’il a élevé sa cuisine au rang d’art, en y insufflant une exigence et une sensibilité rares.
Visionnaire, Roger Souvereyns fut aussi un chef-entrepreneur en avance sur son temps. Dès les années 1980, il montrait que la haute gastronomie pouvait s’inscrire dans une véritable culture sensorielle, attentive à l’art, à l’antique et au design. Au Scholteshof, il offrait à ses convives une expérience complète : les produits locaux issus de son potager et de son verger, l’art de la table, l’architecture du lieu… tout concourait à créer une émotion totale. Il posait déjà, il y a quarante ans, les bases d’une démarche durable et respectueuse, bien avant que ces notions ne deviennent centrales.
Les plus grands ne s’y sont pas trompés. Michel Guérard qualifiait Roger Souvereyns d’ »alchimiste de la vie, d’artiste de cirque capable de réaliser sans cesse de nouvelles pirouettes aussi inattendues qu’irrésistibles ». Alain Ducasse, de son côté, voyait en lui l’incarnation même de la transmission du savoir, un homme consacrant « toute son énergie, avec rigueur et passion, au service de son art ». Ces paroles respectueuses de deux géants de la gastronomie en disent long sur la stature du cuisinier belge.
Au Scholteshof, couronné de deux étoiles Michelin, Roger Souvereyns a formé nombre de talents, insufflant à toute une génération de chefs le goût du produit juste et la discipline du geste. Citons Pascal Devalkeneer (Le Chalet de la Forêt, Bruxelles), Piet Huysentruyt, Bert Meewis (De Slagmolen, Opglabeek), Rasmus Kofoed (Geranium, Copenhague), Johan Schroven (Hof Ter Hulst, Hulshout) ou encore Frédéric Salpetier (Héliport Brasserie, Liège) et d’autres.
Mais plus qu’un maître, il fut un passeur, un homme qui voyait la cuisine comme un langage universel fait de beauté, de culture et d’émotion.
Aujourd’hui encore, à 86 ans, il continue de cuisiner pour ses proches, avec la même précision et la même joie qu’à ses débuts : « Cela fait 72 ans que je cuisine », aime-t-il dire, sourire aux lèvres. Hier, le Gault&Millau lui a rendu un hommage vibrant en lui remettant son Lifetime Achievement Award, consacrant une carrière d’exception.
Roger Souvereyns demeure aujourd’hui encore l’un des cuisiniers les plus influents de l’histoire culinaire belge, un homme qui, par sa grâce, son humilité et sa vision, a su transformer chaque assiette en œuvre vivante.
Un alchimiste du goût. Un artiste de la vie.
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