1/3 – Premier pas de cette danse en trois temps avec François-Xavier Simon.
Rencontre avec le gamin de Wibrin, l’adolescent à Namur et le jeune homme en route vers Paris. Autant de pas, autant de marqueurs indélébiles qui scellent la vie et le parcours d’un Homme et le chemin d’un jeune Chef qui a globe-trotté plus que bien d’autres. Avant de revenir sur ses terres natales, sans certitudes absolues, mais les mains grandes ouvertes et la volonté farouche de donner le meilleur.
P… ! On vient de Wibrin quand même !
« Je suis né en septembre 1986 à Marche-en-Famenne, à Aye. J’ai grandi à Wibrin, un petit village près de Houffalize. J’y ai fait mes primaires et après, j’ai fait mes deux premières années de secondaires à La Roche-en-Ardenne ; avant le premier grand départ, vers Namur et l’École Hôtelière. Mon premier grand départ… Tu vois, je venais de mon village… j’avais 13 ans, ça a été compliqué pour moi, j’étais jeune, j’étais petit. Je venais de La Roche, là où tout était bleu et rose. J’arrivais à Namur, à l’internat ; partir le lundi matin, revenir le vendredi, ne pas avoir de nouvelles de mes parents pendant la semaine, j’ai eu du mal. On coupe le cordon à ce moment-là, tu vois…
L’école au départ, ça ne se passe pas trop bien. Je n’étais pas très costaud mais j’avais du caractère, grâce au sport peut-être… À l’époque, je faisais du tennis de table avec mon frère, on était deux gamins, mais on jouait à un très bon niveau. Mon frère allait s’entraîner à l’étranger, moi je faisais les gros tournois ici, on était dans les bons de Belgique. P… ! On venait de Wibrin quand même ! Maintenant, je pense qu’au niveau mental, ça nous a apporté beaucoup.
Ce métier n’est pas pour lui
Et donc, j’arrive à l’École Hôtelière à Namur. Au début, c’est très difficile, vraiment. Je ne suis pas très bon, je me sens comme innocent, j’arrive de ma campagne à la grande ville et… je découvre une autre réalité ! Je découvre les gens de Bruxelles, les gens de Liège, les gens de Namur.. mais je m’adapte. La classe où j’étais, c’était très chouette, j’étais dans un bon entourage. On était proches, j’ai eu la chance de tomber sur de bonnes personnes, on a encore des contacts aujourd’hui.
Le revers de la médaille, c’est que, à cette époque en tout cas, c’était une école qui, je pense, n’a pas su être assez « sensible ». À la première réunion de parents, on a dit à mes parents : « Il n’est pas fait pour ça ! Il est tout petit, tout frêle, ce métier n’est pas pour lui. Vous devriez regarder à ce qu’il fasse autre chose. C’est pas pour lui… » Tu vois le truc… Mon père m’a dit : « Écoute, Namur, c’est pas donné. On vient d’acheter tes uniformes, il y a la valise de couteaux, l’internat… C’est un sacré budget. » Mes parents venaient de relancer leur société, ils faisaient attention. Mon Père m’a dit : « Tu vas quand même finir ton année…« Et je lui ai répondu : « Bien sûr que je vais finir mon année, c’est certain ! »… Et je ne l’oublierai jamais, il m’a dit : « On est avec toi. Et si c’est ce que tu as vraiment envie de faire, on va t’aider ». Ses paroles ne m’ont jamais quitté.
Je me souviens que mes parents étaient allés acheter des poids pour que je fasse un peu de muscu… (sourire). Et je me suis entraîné, et j’ai bossé, j’ai bossé, j’ai bossé ! Et là, j’ai commencé à comprendre comment ça devait aller et comment ça fonctionnait.
Lors de mon premier stage d’été, je regarde le tableau et je vois que je suis inscrit au Château de Namur. À l’époque, tout le monde voyait ça comme… C’était le bas de l’échelle, tu vois Laurent… Mais je me suis dit : « Ok ! C’est mon stage, je le fais ! » Et j’allais le faire à fond ! J’ai eu la chance de tomber sur une bonne personne au ‘Château’, une personne qui est toujours là aujourd’hui, dans les alentours de l’École Hôtelière. Cette personne m’a dit : « Toi, tu feras la saison en salle. » Et là, j’ai pris un kif total ! Je faisais les découpes en salle, je faisais les sabayons… Je plongeais sur tout ! Dès qu’il y avait un truc à faire, je le prenais ! Le mental avait pris le dessus.
À la rentrée de septembre, j’arrive en deuxième année avec un stage bien réussi, ça change quand même un peu la donne. Et l’école a suivi son chemin. En sixième, j’ai terminé avec le ‘Prix de Salle’ et le ‘Prix en Cuisine’. Ok ! Ce sont des prix d’École Hôtelière, tu vois… Mais, ce n’est pas rien… La suite allait le prouver. Pour moi, je n’étais le meilleur ni dans l’un ni dans l’autre, évidemment. Mais à l’examen, dans le jury, il y avait le Directeur de Salle du Georges V à Paris. Quand même… Et à la fin de mon cursus, on m’a proposé un poste au Georges V… Le Directeur de Salle du Georges V était un ancien de l’École Hôtelière, Thierry Jacques.
Une étoile ! Deux étoiles ! Trois étoiles ! En trois ans…
Thierry Jacques, il avait fait Taillevent, et là le Georges V. Mais à la grande époque ! Imagine-toi : ils étaient presque tous partis de chez Taillevent pour venir au Georges V et suivre le Chef Philippe Legendre. Il avait emmené Thierry Jacques, il avait pris toute la clique et là, ils réouvrent le Georges V, en l’an 2000 ! Après une longue fermeture de deux ans et d’énormes travaux.
Et bam ! Une étoile ! Deux étoiles ! Trois étoiles ! En trois ans !… Tout le monde en parle encore. Rien que t’en parler, j’en ai des frissons. Et moi, le gamin, je sors en 2004 de Namur et j’arrive là-bas ! Dans une dynamique incroyable, sur Paris… C’était dingue ! Tout le monde venait manger là… et quand je dis tout le monde, c’est « tout le monde ! ».
Quand j’arrive là, ce qui est fou, c’est qu’ils me proposent un poste en salle. Moi, je voulais faire la cuisine ! Je voulais la cui-sine ! Et j’ai dit non !… Bon… Ok ! Tu vois Laurent, à l’époque, j’étais encore un gamin, je sortais de Namur. Et j’ai parlé avec mon père… : « Tu vas les appeler, tu vas prendre ton rendez-vous et tu vas y aller ! Ok ?!… »
Le rendez-vous est fixé, le rendez-vous se fait. , On roule vers Paris, ma maman m’accompagne ; avec nous sa meilleure amie, elle travaillait dans les ressources humaines. Dans la voiture, on parle, on parle. Elle me conseille : « Tu dois dire ceci, tu dois dire ça, et ça… Et surtout te tenir comme ça. » Je dis ok, ok… On arrive au Georges V à Paris.
Le Georges V à Paris, tu imagines ?!… Et je me souviens, une dame me fait passer mon entretien, elle est toujours là d’ailleurs, Anne-Laure Soulier. Mais très naïvement, et balèze du haut de mes 17 ans, j’arrive à Paris : pas de gsm, zéro infos, à la fraîche quoi ! L’entretien commence, elle me pose des questions : « Quel est le nom du chef ?… Je ne sais pas… Quel est le nom du Directeur de le Sommellerie ?… Je ne sais pas… Combien avons-nous de chambres dans l’hôtel ?… Je ne sais pas. Depuis combien de temps avons-nous trois étoiles Michelin ?… Je ne sais pas ». On termine l’entretien et elle me dit, comme révoltée : « Si vous n‘aviez pas été recommandé par Thierry Jacques, jamais on ne vous prend Monsieur !… Vous avez gardé les bras croisés pendant tout l’entretien ! Vous êtes quelqu’un de fermé ! » À ce moment, j’ai compris pour la première fois que j’entrais dans la cour des grands.
En 2004, on était trois gamins à être pris en même temps au Georges V. Quand je suis arrivé dans le bureau du directeur, il m’a dit : « Vous serez Commis de salle ! ». Et là, j’ai ce grand directeur devant moi et je lui dis : « Non ! Je veux aller en cuisine ! »… Son regard : « Jeune homme, vous allez commencer par la salle ». Je tremblais comme une feuille, j’ai signé mon contrat. Et j’ai commencé à travailler en salle.
Tu es prêt à ce qu’on baisse ton salaire ? Tu es prêt à faire plus d’heures ?
L’une des plus belles expériences de ma vie ; tous les jours, à chaque service, j’étais dans la plus belle salle du monde ! On avait tous les moyens imaginables, c’était dingue ! Et là, j’ai vraiment pris goût à ce que je faisais. J’étais entouré de belles personnes, de très belles personnes. Il y avait beaucoup de stress, énormément de pression, mais c’était bien fait, c’était bienveillant, c’était extraordinaire ! J’ai passé un an et demi dans cette salle. Et puis, un jour, j’ai pris mon courage à deux mains et je suis allé voir le chef Philippe Legendre en cuisine et je lui ai dit : « Je veux travailler avec vous Chef ! » Et il m’a répondu : « Très bien mon gamin ! Tu seras là demain en cuisine ! » Et puis, il me regarde et me dit : « Tu es prêt à ce qu’on baisse ton salaire ? Qu’on t’enlève tes pourboires ? Tu es prêt à faire plus d’heures ? »… « Oui Chef, pas de problème ! » Je suis allé voir le directeur, il m’a remballé, il trouvait ma demande ridicule. J’ai pris rendez-vous avec la Direction pour expliquer mon choix. Trois semaines plus tard, j’étais en cuisine.
Là, je redémarrais en bas de l’échelle, j’étais « Commis 2″… Je ne suis pas très vieux mais « Commis 2 », aujourd’hui je crois que ça n’existe plus. Et on baisse mon salaire, je n’ai plus de pourboires et je fais plus d’heures… Comme promis ! (rires)
Ils me font commencer par le room service. Mais il faut savoir que lorsque j’ai commencé à faire la cuisine, je ne faisais pas différence entre la coriandre et le persil ! Pour moi, c’était la même chose ! (rires) Il fallait que je goûte… parce que je n‘aime pas la coriandre mais j’aime le persil ! Donc, j’allais dans la chambre froide (rires). Et donc, j’ai commencé par le room service, après j’ai fait la Galerie, et puis j’ai débuté au Cinq, le restaurant 3 étoiles. Trois belles années, trois très belles années… Vraiment. J’ai fait tous les postes en tant que commis.
Et au moment où j’allais passer Chef de partie, j’ai décidé de partir, avec un ami, à la Table de Joël Robuchon. Et le Chef, Philippe Legendre, c’est un Chef à l’ancienne, tu vois, c’est un peu rude quand tu le quittes…
Quitter le Cinq pour Joël Robuchon
On arrive chez Robuchon, c’était en 2007.
J’ai eu la chance de tomber sur deux personnes incroyables : David Alves et Julien Tongourian. David Alves, protège aujourd’hui encore, le nom de Joël Robuchon dans le monde entier, il fait le tour de tous les chefs, de tous les restaurants, il est en quelque sorte le porte-parole de l’image Joël Robuchon. Et Julien Tongourian, aujourd’hui il a trois étoiles au Dôme au Macao. Des hommes incroyables, de gros bosseurs, des gars hyper-sensibles, très gentils. On bossait, on bossait, mais on était tellement fiers de travailler pour deux chefs comme ça, et bien sûr pour Joël Robuchon. J’ai une anecdote… Je faisais beaucoup d’allers-retours en train à l’époque ; un jour, je dis au Chef : « J’ai mon train à 18 heures et quelques »… Et j’attendais vraiment le dernier dernier moment pour partir, je terminais ma mise en place et seulement je partais. Et le temps que je me change, c’est bête hein ?… Et c’est le chef, et bien il m’avait préparé un sandwich : « Tiens, tu mangeras ça dans le train ! « Un autre détail et je l’ai encore là (il se pointe un doigt sur la tête…). À Noël, il m’a donné un bricaillon de truffe. Il ne me l’a pas jeté, il m’a dit : « Tiens ! C’est pour toi et les tiens, c’est Noël ». Ces hommes avaient une sensibilité, ils étaient bienveillants et nous tiraient vers le haut. »
À suivre…
Par Laurent Delmarcelle
À lire demain sur Eating.be : La suite du portrait de François-Xavier Simon – « Hanna. Et Pierre Gagnaire. »
Bistrot Blaise – Rue Porte Haute, 5 à Marche-en-Famenne.