Dites-nous Christophe Pauly… : « Je fais la cuisine que j’ai envie de manger. »

24 novembre 2020

Toucher à l’essentiel et faire naître l’émotion. Telle est la promesse de Christophe Pauly.
Depuis 2003, le chef liégeois n’a de cesse de faire évoluer et s’épanouir son Coq aux Champs. Grandissant avec lui, en quête d’une liberté absolue.
Cette année, il est entré encore plus dans la cour des Grands en étant sacré ‘Chef de l’Année’ par le guide Gault&Millau. A 43 ans, l’Homme ne s’arrêtera pas là, faisons étape avec lui dans une rencontre sans langue de bois.
Alors, dites-nous Christophe Pauly…

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Christophe Pauly, un plat ?

Pas un plat, mais quatre plats ! Parce qu’il y a quatre saisons. Et puis, Je n’ai pas toujours envie de manger la même chose. Mais à la réflexion, des plats préférés, j’en ai mille ! Ca peut aller d’une fondue savoyarde à une langoustine marinée avec de la crème aigre et un peu de caviar. Donc, non je n’ai pas vraiment de plat préféré. Tu vois, quand je parle d’une fondue savoyarde, c’est parce qu’on y trouve tout : c’est gourmand, il y a de l’acidité et puis j’aime ce plat parce qu’il me plonge dans quelque chose qui me réconforte. Ce n’est pas « que » le plat qui me plait, c’est aussi tout ce qu’il y a autour. Maintenant, et tu le sais, Je suis un fan du cru. J’adore la langoustine en cru, la Saint-Jacques en cru, la crème aigre parce que, à nouveau, on revient au côté gourmand et acide. Je n’ai pas « un » plat, j’ai des moments. Je pense que la cuisine est liée à autre chose que simplement le fait de prendre des couverts et de mettre un aliment en bouche, c’est lié à beaucoup d’autres choses.

Un produit ?

L’huitre. Pour sa fraîcheur, pour son côté punch, aussi parce que ça peut être gras en fonction de la façon dont on la travaille. L’huitre a de la profondeur, elle permet tellement de choses, c’est « le » produit dans ma cuisine. Si on me demande s’il y a une chose qu’on ne peut pas enlever dans ma cuisine, je réponds l’huitre.

Une matière ?

Le fer. J’aime le fer car c’est une matière qui offre aussi plein de possibilités. C’est un produit qui est mort et vivant à la fois. J’aime le toucher de l’acier. J’aime aussi parce que c’est l’identité propre à ma région, celle où j’ai grandi, Liège, Sclessin. Parce que c’est lié à ma cuisine ici, c’est de l’inox, c’est de l’acier. J’aurais pu dire le bois parce que je vis entouré de bois mais je préfère l’acier. Et puis je pense que ça me ressemble.

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Votre première émotion à table, vous vous souvenez ?

Ca devait être bébé, dans ma poussette, avec un lacquemant ! (rires) Plus sérieusement, je me souviens de ma première vraie claque. Un de ces moments où je me suis dit que je ne savais pas cuisiner… C’était bouleversant ! La première fois, c’était chez Robuchon. Joël Robuchon a toujours été pour moi un chef référence et, à l’époque, je n’avais jamais mangé chez lui. Et à la Table, il commençait son concept de demi-portions. A l’époque, on faisait tous 36 amuse-bouches, 36 machins, on compliquait les choses. Et le gars, il envoie à l’apéro une crème de lentilles, un petit toast avec un peu de canard dessus, simple. Tu vois, avec une coupe de Champagne à 20 balles la coupe, tu reçois ça, tu te poses des questions… On reçoit en première entrée, une langoustine en papillotte, un grand classique de Robuchon. Arrive à table une assiette rectangulaire avec un trait de pinceau vert, trois feuilles de salade et un nem de langoustine. Et là, je regarde Catherine, erreur de jeune con, je ne goûte même pas et je fais: » Ils se foutent de la g… du monde, c’est pas possible ! » Je croque dans le nem et là je dis « Oh P… ! »… C’était bon, mais bon ! C’était parfait ; la cuisson, l’équilibre, l’assaisonnement. Et même, et c’est un souvenir fort que j’ai, les feuilles de salade, j’avais l’impression qu’ils venaient d’aller les couper dans le jardin ! Ce moment a été ma première grosse claque, celle qui a commencé à me faire réfléchir sur ma cuisine. J’ai pris conscience que ce n’est pas parce que tu fais des petits points partout dans l’assiette et que c’est joli que c’est bon. Parce que sa langoustine, c’était très simple de conception et en fait, il se mettait tellement en danger en faisant aussi simple que ça en devenait très compliqué. C’est la réflexion que je me suis faite.
La deuxième, c’est chez Alain Passard. On va manger avec des amis et après le repas, on se balade tous ensemble dans Paris. Et pendant une heure, je ne dis rien… Et là, on me demande si ça va, si tout va bien. Le premier mot qui est sorti de ma bouche, c’est : « Je ne sais pas cuisiner ! » J’avais pris une telle trempe ! Je me suis demandé ce qui m’arrivait. Sur tous les plats, je me suis pris une claque. Sur tous ! Il n’y en a pas un qui ne m’a pas mis de travers. On est rentrés ici le lendemain, et la première chose que j’ai fait, c’est vider tous les frigos ! J’ai tout vidé ! Quand mes gars sont arrivés, ils m’ont demandé si j’étais fou. J’ai répondu que c’est maintenant, à partir de maintenant qu’on IMG_2446allait commencer à faire à manger ! Là, ça a été l’électrochoc !
Mais mon tout premier souvenir, celui où Je me souviens m’être dit waouw ! C’est la salade de homard de Daniel Van Lint (photo) au Pré Mondain, et sa sauce, une bisque hyper concentrée, avec des dès de tomates et des herbes hachées. C’était merveilleux. Et là, je devais avoir 16 ou 17 ans.

 

« Je n’avais pas le droit de foirer ! »

 

Un endroit où vous aimez aller manger ?

De nouveau, on revient au contexte, ça m’est essentiel. Déjà, j’adore aller manger chez les amis. J’aime les petits bistrots sympas et vivants, ces endroits où tu peux aussi te faire une belle petite quille de pinard, chez des gars qui travaillent des beaux produits, qui travaillent simplement, pas compliqué. En fait, ce que j’aime, c’est retrouver ce que je ne fais pas chez moi. Alors, bien sûr, j’adore faire de belles tables, j’adore ça. Mais quand je vais au restaurant, je n’y vais pas comme un cuisinier, j’y vais comme un simple client. Je m’assieds, je prends mon couteau, je prends ma fourchette et je me fais plaisir. Je cherche à passer un vrai moment, un moment avec les personnes avec qui je suis. C’est pour cette raison que j’aime les endroits très conviviaux.

Un endroit où vous vous sentez bien ?

A la montagne, aux Gets, en Savoie, j’adore. J’y vais depuis que je suis petit, on y a des amis. Je m’y sens bien. Là, je déconnecte pleinement. Je ne pense pas au travail quand je suis là, je suis juste bien.

On trouve quoi toujours dans votre frigo à la maison ?

Du lait, pour mon Nesquick le matin (rires). Du fromage, du jambon de ferme, un jambon que je trouve chez mon copain le boucher, ici à côté. Le fromage, ça varie. Ca peut être du Parmesan, ça peut être une tomme, souvent des pâtes dures en fait, comme une petite tomme des Botteresses. On trouve dans mon frigo des trucs de grignotage, tu coupes un bout et voilà! Beaucoup de légumes aussi, Catherine fait des soupes. Des oeufs, pour le matin. Un peu de yaourt.

Votre état d’esprit, le jour d’ouverture du Coq aux Champs, vous vous souvenez ?

Complètement ! J’étais tellement heureux… J’étais tellement heureux. (Il sourit) Tu te dis c’est le premier jour, waouw ! Ca y est, j’y suis ! Mais j’étais aussi tellement stressé. Tu le sais, j’ai commencé, j’ai ouvert mon rastaurant avec la main dans le plâtre ! Une semaine avant l’ouverture, je me suis pris la tête avec un gars qui faisait les travaux et j’ai mis une patate dans une porte. Un os m’est passé à travers la main. Donc, Le_Coq_aux_Champs-18opération, broche, etc… La totale ! On voulait me faire une anesthésie totale, je leur ai dit d’oublier : »J’ouvre mon resto dans une semaine et je n’ai pas envie d’avoir la tête à l’envers ! Donc, j’ai démarré avec un plâtre qui allait du bout des doigts jusqu’à la moitié du coude. (rires). Je n’avais pas le choix, j’étais seul en cuisine. Et heureusement, Albert Horenbach, l’ancien propriétaire du Coq aux Champs, m’a dit : « Tu sais quoi ? Je vais venir t’aider. » Coup de chapeau à lui parce qu’il n’était vraiment pas obligé de faire un tel geste. Il m’a dit: « Je vais venir t’aider. Mais j’ai une condition : je suis ton commis! » Et je trouvais ça tellement classe, tellement beau.
Donc, les débuts, oui… J’étais heureux mais tellement paniqué parce que je voulais assurer à mort. Tu sais, je mettais tout ce que j’avais sur la table. J’ai commencé seul, je n’avais pas d’investisseur. Je n’avais plus un euro en poche. J’étais donc heureux mais stressé. Je n’avais pas le droit de foirer ! Je ne pouvais pas ! Et puis, j’étais surmotivé, sur-mo-ti-vé !… Les six premiers mois, j’ai bossé plus de vingt heures par jour… Tous les jours, tous les jours, tous les jours ! J’étais au taquet ! Après, les choses ont été vite. Mais je ne pense aussi qu’elles n’ont pas été vite par hasard.

Le cuisinier ou la cuisinier qui vous impressionne le plus ?

Ma Maman ! (Rires) C’est une question difficile ça… Je pense qu’il n’y a pas « un » cuisinier qui m’impressionne. Je ne suis pas impressionné à proprement dire, mais j’ai un respect infini pour ceux qui se mouillent. Pas qui se mouillent en allant faire le buzz à la télé… non ! J’ai du respect pour les gars qui ont osé prendre des tournants radicaux, prendre des décisions, ceux qui se sont mis en danger. Et on va encore revenir à lui, c’est une légende, mais quand Alain Passard a dit un jour : « Je retire la viande et le poisson de ma carte », il fallait les avoir bien accrochées quand même !… Dire: »J’ai trois étoiles et je mets un grand coup de balai dans tout ! », il fallait oser ! Et ça a été un tournant, un tournant pour lui, un tournant pour la gastronomie… Ca, c’est respect. Plus proche de chez nous, j’ai beaucoup de respect pour un gars comme San Degeimbre, qui a mis toute sa vie au service de son métier. Et j’ai du respect aussi pour le petit jeune qui va se lancer avec trois francs six sous. Il pourrait très bien rester à la maison et ne rien faire.

Un message par rapport à votre métier ?

Mille messages ! Il y a tellement de choses que je voudrais laisser aux jeunes. J’ai tellement envie de leur dire de rester relax. J’ai souvent l’impression que tant de gens se tirent la bourre et qu’ils sont dans un esprit de compétition digne de la formule 1 ! Savoir qui aura la plus belle assiette, le plus beau restaurant, la plus belle cote dans un guide, etc. Et au final, quand je dis ‘keep and relax’, je n’ai jamais été aussi fort et aussi bon je pense, que, et c’est très très récent, que le jour où je me suis dit: « En fait, peu importe ce qui se passe ailleurs, je fais à manger pour mes clients, mais ils vont manger ce que j’ai envie de manger ! » C’est peut-être prétentieux mais je trouve ça tellement naturel. Et je vois tant d’endroits, des endroits où tu sens que l’énergie a été mise juste pour impressionner, juste pour montrer.
En fait, le client, il n’a pas envie de ‘voir’. Un repas, ce n’est pas une exposition 126207619_502939017351087_3806562219593552626_nd’art. Le client, il a envie de manger et il ne faut pas oublier que peu importe la cuisine que l’on fait, la cuisine ne se mange pas à la pince à épiler. C’est peut-être moi qui suis un gourmand mais, et je reviens à la cuillère, la fourchette, le couteau ; le client vient manger il veut découvrir des choses, il veut parfois être bouleversé, mais s’il doit découvrir des choses, il doit découvrir une identité, il doit découvrir un style, une personnalité. Je le redis, je pense que je n’ai jamais été aussi bon que depuis que je donne à mes clients la cuisine que moi j’ai envie de manger et comme j’ai envie de la manger. Et plus j’avance, plus je remarque que ça fonctionne, et plus ça fonctionne, plus je prends confiance en moi, et plus je prends confiance en moi, plus je deviens bon. Je pense que dans un délai de deux à trois ans, il y a encore beaucoup de choses qui vont changer chez moi. En gardant mon style, mais je vais oser des choses que je n’osais pas il y trois ou quatre ans. C’est une question de maturité peut-être… Je suis arrivé à un stade où je suis parvenu à imposer un style. Et les gens viennent manger ma cuisine, la cuisine de Pauly, de Christophe Pauly. C’est tellement gai.
Et ça ne sait arriver qu’en étant honnête, honnête envers ses clients, honnête envers ses collaborateurs. Mais avant tout, honnête avant envers soi. Trop de cuisiniers ne sont pas honnêtes envers eux, ils ne font pas la cuisine qu’ils ont envie de manger, ils font une cuisine « machin » parce qu’ils voient qu’on parle beaucoup d’un gars, ils s’en influencent, ils essaient de s’en approcher, ils empruntent un courant en espérant y trouver leur identité… Mais ton identité, au final, elle est en toi ! Dans tes souvenirs, dans tes émotions, en toi, et pas dans un magazine ou sur internet.

Quelque chose que vous n’avez jamais dit à propos votre métier ?

Comme tout le monde, j’imagine… A certains moments, j’en ai marre. Je me dis que je fais un métier de m… C’est clair ! Je crois qu’il n’y a pas un chef qui ne se le dit pas. Mais bon… Ce n’est pas propre à notre métier de cuisinier, chacun doit se dire ça à un moment donné. Mais chaque matin, je suis heureux de descendre dans ma cuisine. Et par exemple, je prends un pied d’enfer quand je change de carte. Tu vois, quand je la fais, certaines fois ma mémoire du goût travaille tellement quand j’imagine ma nouvelle carte que je n’ai plus la moindre faim. Mais c’est tellement gai. C’est tellement gai de l’imaginer et puis quand elle sort, tu t’éclates ! C’est le moment magique. C’est tellement gai de voir les clients et de les entendre te dire merci. Ils ne te disent pas merci comme ils disent merci quand ils vont récupérer leur voiture au garage, non non… Il y a une intensité différente, une autre sincérité. Sinon, il est clair qu’on est entourés de plein de cons, des gens qui me soulent vraiment. Des gens qui se font influencer par des émissions à la mords-moi le noeud et qui viennent te dire en fin de repas sur un ton pincé et prétentieux: « Ouiiii, j’aurais bien aimé un peu plus de croquant iciii ou lààà ! Déjà, je ne suis pas Cyril Lignac, ensuite si tu veux manger du croquant, on cherche un second, tu peux prendre un tablier et venir! » (rires) J’ai envie de leur dire, mais je ne peux pas, on me prendrait pour un demi-fou! Et ce, même si je suis un demi-fou (rires). Je me suis toujours dit que lorsque j’arriverai dans mes deux dernières années de carrière, j’allais vraiment me lâcher, mais bien me lâcher ! Ca va être marrant.

On parle de votre passage chez Troisgros ?

Chez Troisgros, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ça ne s’est pas passé de manière magique. J’avais déjà un caractère, même jeune, plutôt bien « tendu » on va dire (rires). Pour la petite histoire, qui était belle, pour mon premier poste chez Troisgros, on me dit « Voilà, c’est là ! » Au chaud… (Il lève les yeux) Je ne comprenais pas. Et c’était Michel Troisgros quand même !… Et ça a été une très mauvaise idée parce que d’entrée de jeu, j’étais le petit belge qui débarque, qui passe au dessus de tout le monde et qui se retrouve au chaud. Donc, ça a très très difficile. Il a fallu jouer des coudes. Et puis, tu vois, quand tu es belge, tu es identifié frites boulettes ! C’est comme ça. A l’époque, le chef exécutif de Troisgros était un ancien de chez Ducasse et de chez Robuchon… Et ça, c’est peut-être le truc que je n’ai jamais dit dans mon métier, i4K1_QsJsYbI-lVitnBbUjl72eJkfbmt4t8yenImKBVvK0kTmF0xjctABnaLJIm9c’est que ce gars était un enfoiré, peut-être même l’enfoiré suprême. Parce qu’il n’avait rien compris à la manière dont il fallait faire tourner une équipe. Je n’ai jamais compris comment quelqu’un comme Michel Troisgros gardait un gars comme ça. Un gars qui, en fait, bousillait une équipe de jeunes ultra-motivés en étant cassant à l’extrême. Jusqu’au jour où moi, il m’a tellement poussé à bout que je lui ai dit: « De toutes façons mon grand, dans trois mois, tu n’es plus là parce que j’aurai pris ta place! Et ça s’est même mal terminé puisque je lui ai retourné une fraise. Maintenant, au final, c’est lui qui a gagné puisque c’est lui qui était le chef et il m’en a tellement fait baver qu’à l’usure, j’ai laissé tomber et j’ai arrêté. C’est peut-être le plus gros regret que j’ai, peut-être le seul que j’ai, c’est que j’aurais dû aller plus loin, aller voir Troisgros et lui dire: « Ecoutez, je vais travailler six mois pour rien mais je prends sa place! » J’aurais dû oser, mais j’étais trop jeune. Ce gars foutait un bordel sans nom dans toute l’équipe. Michel Troisgros a perdu à cette époque des talents, des gars qui étaient de vraies machines, c’est inouï. Et au final, ce gars a disparu des radars aujourd’hui. Le temps décide toujours, finalement.

La « crasse » pour laquelle vous craquez facilement ?

Hou laaa !… Il y en a plein ! (rires) Sale question. Jaime bien les petits bonbons sûrs au Coca. Ce truc, si je démarre le paquet, c’est mort ! Alors, j’adore aussi un bon morceau de jambon à l’os trempé dans de l’andalouse, le soir quand je remonte. Ou mieux encore ! Un cervelas chaud avec de l’andalouse ! (rires) Des vraies crasses quoi ! Et le durum du dimanche, une fois de temps en temps, avec Charly.

Un truc de cuisinier que vous voulez bien révéler ?

Et bien, je vais faire une vraie révélation, et ça intrigue toujours : je ne poivre pas. Je ne poivre rien ! Je m’explique. Le sel est un exhausteur de goût, le sucre est un exhausteur de goût, le poivre est un exhausteur de rien du tout. Le poivre est une épice, une vraie épice. Il existe mille poivres, qui ont autant de parfums différents. Donc, je ne poivre pas. Et je n’ai jamais compris qu’on poivre, ça n’apporte rien. Le poivre, on l’a tous appris à l’école, et encore maintenant, on a appris à saler et poivrer. Sel, poivre! Et il est où l’intérêt ? Le sel, je suis d’accord, parce que le sel va développer le goût du produit. Mais le poivre, ça développe quoi ? Rien. Si je mets du poivre, je veux que ça apporte quelque chose. Le poivre, c’est un goût supplémentaire, que ce soit un peu de piquant, un peu de profondeur. Il y a des choses que je ne conçois pas sans poivre, ok… Par exemple, tu vois, la tomate sans poivre, ça ne me parle pas. Une peau de poulet, sans poivre, sans fleur de sel et sans poivre, ça ne me parle pas. Mais je veux que ça se goûte. Les frites sans poivre, ça ne m’excite pas (rires). J’aime bien de mettre du poivre sur les frites, oui. Mais quand je rôtis une viande, c’est sans poivre, juste du sel. Le poivre, c’est une vraie épice.

Un vin ?

Le Domaine des Ardoisières, en Savoie. Parce que c’est bon. Ou le Saumur Brézé de chez Guiberteau, parce qu’il y a tout dans ce vin.

Vos musiques ?

Radiohead, Creep. Je ne m’en lasse pas. J’aime le rock alternatif. Ou de l’électro, quand je fais la fête. Et les années 80 aussi. Je suis assez éclectique mais j’aime le rock alternatif.

La dernière chose qui vous a fait rire ?

On est allés écouter brâmer le cerf, avec Catherine et des amis. Avec mon neveu, rentre discrètement dans sa jeep et il attrape une corne, un tuyau q’il a façonné, et ce truc imite à la perfection le brâme du cerf. Maintenant, il faut savoir souffler dedans correctement. A un moment donné, il se retire un peu du groupe. Catherine, mon épouse, avait entendu des bois craquer quelques minutes auparavant, vous imaginez que mon neveu a soufflé dans la corne et que ma Catherine a fait un bond pas possible! J’ai pleuré de rire !

 

« Je changerais tout et je ne changerais rien… »

 

Et la dernière qui vous a rendu triste ?

L’annonce de la maladie de mon père. Aujourd’hui, il va mieux. Mais l’annonce a été un vrai choc. C’est là que tu relativises beaucoup de choses. Il y a parfois des choses qui m’attristent, c’est clair. Mais en même temps, ce n’est pas dans mon tempérament d’être triste. Mais là, avec mon père, j’ai eu beaucoup de mal. Même si j’ai une tendance à me blinder, à me mettre des barrières. Certaines choses me touchent mais peu m’attristent. Avec Jean, mon ancien second par exemple, je trouve nul ce qui s’est passé. C’est dommage parce qu’en fait, on avait une belle relation à la base, mais d’un autre côté, tant pis… C’est la vie.

La dernière fois que vous avez fait quelque chose pour la première fois ?

Je suis allé chez une nutritionniste, l’autre jour. C’était la première fois. Et elle m’a dit que j’étais une machine ! (rires)

Le geste du quotidien que vous préférez ?

Le bisou de mon fils Charly, le matin. Ce matin, avant qu’il ne parte pour l’école, on s’est fait deux oeufs à la coque chacun et ce contact du matin, j’adore.

Votre cuisine préférée ?

La mienne. Parce que je fais la cuisine que j’ai envie de manger. Je ne vais pas dire la cuisine de Passard, ou de l’un ou de l’autre, même si j’adore. Je ne triche pas, je ne mens pas, et ce n’est pas du tout de la prétention : les assiettes que j’envoie, c’est les assiettes que j’ai envie de manger ! Quand je commence à penser à une nouvelle carte, je me pose la question de ce que j’ai envie de manger. Parfois, je suis embêté parce que j’ai envie de manger un steak poivre ! (rires) Je ne peux pas le mettre… Et d’ailleurs, pourquoi ? Pourquoi au final je ne pourrais pas le mettre ?… Plus sérieusement, il y a plein de cuisiniers que j’aime. La dernière claque que j’ai pris, c’est à l’Auberge de Montmin, chez Florian Favario, un jeune garçon très talentueux. J’y étais déjà allé, j’y suis retourné. Il vient de prendre une étoile au Michelin, on commence à pas mal parler de lui. Ce qu’il fait est bon, c’est juste, c’est vraiment bon, c’est cohérent. Et j’y reviens ! Tu vois que ce gars fait ce qu’il a envie de faire. Il fait zéro compromis, il fait sa cuisine, il fait son truc ! C’est un ancien second du Bristol, donc le gars sait quand même faire un peu à manger, mais tu vois qu’il est sorti des chipotages et de la cuisine de démonstration, il fait « à manger ». Il a envie de partager, il a une cuisine hyper identitaire et pourquoi est-ce que j’ai adoré ? Parce que c’est hyper-cohérent, l’endroit, le moment, l’assiette font que quelque chose se passe. Tout participe. Tu peux faire le meilleur repas du monde, si devant toi, tu as un emmerdeur, ce ne sera pas bon.

Un grand souvenir de table ?

C’est à L’Arpège, chez Alain Passard. Définitivement, complètement.

Une question que vous auriez aimé que je vous pose ?

Une question qui pourrait être intéressante, c’est de me demander quelle est ma passion. Et je répondrais que je suis passionné par la vie, par les gens. Mais la vie, les gens, mais la vie et les gens, c’est mon métier, ma famille, mes amis. Donc, je vais dire la vie. Les moments humains sont tellement…

Si c’était à refaire Christophe Pauly…

Si c’était à refaire… (Il réfléchit) C’est déjà tellement bien comme ça. Mais plein de choses ! Je pense que j’oserais beaucoup plus de choses, j’ai fait beaucoup trop de compromis, beaucoup trop. J’ai été beaucoup trop gentil en espérant parfois des choses. En fait, je changerais tout et je ne changerais rien. Les choses, elles se sont faites parce qu’il y avait une demande, parce que j’avais l’envie de le faire. Je n’ai pas de regrets. Mais si j’avais dû changer quelque chose, c’est peut-être de ne pas être influencé. Pas par des personnes, par des tendances, par des modes, me soucier de savoir si ce que je fais va marcher, de ce qu’on va en penser. On en parlait tantôt, tous les cuisiniers qui y arrivent, ceux qui ont marqué, ce sont ceux qui ont mis tout ce qu’ils avaient sur la table. Et qui n’ont pas eu peur de se faire démolir. Donc, oui, j’ai peut-être été un peu influencé mais ça fait partie de la vie d’un cuisinier de, à un moment donné, chercher son identité, d’affirmer sa personnalité. Et il y a encore des choses que je voudrais faire et je n’ose pas, pas encore…

 

Propos recueillis par Laurent Delmarcelle à Soheit-Tinlot, le 30 septembre 2020

Le Coq aux Champs* – Rue de Montys, 71 à Soheit-Tinlot.