Peter Goossens : « Le gouvernement nous a coupé la main du jour au lendemain ! »

18 mai 2020

Il est temps de rallumer les fourneaux de nos restaurants !

Le chef trois étoiles Peter Goossens est en colère. Mercredi dernier, le Conseil national de sécurité a décidé que les marchés, les coiffeurs et les musées pourraient rouvrir. Pas un mot sur la restauration. « Après tout ce temps, le gouvernement n’a pas encore réussi à nous donner la moindre perspective », explique le parrain de notre gastronomie.

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Hormis une visite quotidienne à son restaurant Hof van Cleve – « Je dois y aller tous les jours, c’est mon enfant » – Peter Goossens (56 ans) est désormais cloitré chez lui, au repos après une opération au pied. Je devais y passer et j’ai le temps maintenant.

Vous êtes en colère…

Bien sûr! J’ai bâti mon entreprise depuis 35 ans. J’ai sacrifié une partie de ma vie de famille et de ma santé pour atteindre un objectif. Et quand je suis prêt à y parvenir, on arrête tout du jour au lendemain car Bruxelles l’a décidé ? Maintenant, que les choses soient claires, je comprends la raison. Ce virus était là et nous devions faire quelque chose. Mais le moment est venu maintenant d’avancer à nouveau. Il faut recommencer !
Mais je vois que le secteur de la restauration est laissé de côté. Les politiciens et les virologues se renvoient la balle. Et en attendant, nous devons nous contenter de regarder, impuissants, l’arrêt de notre affaire. Alors, je me fâche, oui!

N’est-il pas probable que le Conseil de sécurité franchisse le pas la semaine prochaine? La fédération Horeca Flanders le soupçonne déjà.

Nous sommes déjà le 20 mai ! Pourquoi est-ce si difficile de prendre une décision? Je ne demande pas d’ouvrir demain, je demande juste une date. Les Pays-Bas peuvent le faire, car ils savent que leurs restaurants rouvriront le 1er juin. Et en Espagne, des terrasses de cafés ou de restaurants sont déjà ouvertes. Et chez nous ? Rien ! Alors que nous avons besoin de réelles perspectives. Une date sur laquelle travailler et se préparer. Parce qu’ils oublient que le redémarrage va prendre un certain temps. Vous pouvez ouvrir une friterie en quelques jours, ok. Et je dis ça avec tout mon respect. Mais là, vous épluchez des frites, vous les cuisez, vous mettez les sauces, point barre… et vous ouvrez. Ce n’est pas si facile dans un restaurant. Et certainement pas dans un restaurant de notre niveau.

De combien de temps avez-vous besoin pour relancer la machine ?

Nous sommes une entreprise de 25 employés qui ont besoin d’au moins une semaine pour tout préparer. Pour tout remettre en l’état parfaitement. Pour passer des commandes. Pour refaire une mise en place, pour élaborer des menus. Parce que maintenant, je n’ai même plus à penser à faire quoi que ce soit avec des asperges ou des petits pois, ils ne seront plus là.

Sur votre site web, on peut déjà faire une réservation pour une réouverture possible à partir du 8 juin…

Nous avons en fait commencé lundi dernier… parce que nous avons hâte de le faire. C’est une autre chose qu’ils ne réalisent pas. Ce n’est pas forcément parce que je dis demain que je suis ouvert que ma salle sera remplie. il faut travailler de manière proactive.

Avez-vous la moindre idée de la façon dont tout cela fonctionnera ? On connaît votre cuisine, elle n’est pas très grande et une quinzaine personnes qui y travaillent. Comment comptez-vous faire ?

Tous les plans sont prêts. Dans la cuisine, il y aura un point sur le sol à chaque poste sur lequel le personnel devra se tenir impérativement. Tout le monde travaillera avec des masques buccaux et la dégustation se fera avec des cuillères en plastique qui voleront dans la poubelle immédiatement après avoir été utilisées. Avant de commencer, nous prendrons la température de chacun. Le changement de vêtements de travail se fait toujours dans une pièce séparée et les fournisseurs ne livrent pas à l’intérieur mais à la porte. Le plan de la salle est également terminé. Nous ne pouvons pas placer de plexiglas sur les tables, que resterait-il de l’expérience ? Nos clients recevront un gel pour les mains, la carte des vins sera sur un iPad que nous désinfecterons constamment et le menu habituel, nous le remplacerons par une feuilleA4 qui sera ensuite détruite. Les serveurs poseront l’assiette sur la table avec des masques buccaux, reculeront d’un mètre et demi, puis expliqueront le plat au client. Les nappes seront enlevée après chaque repas, placées dans une pièce séparée et collectées quotidiennement par l’entreprise de lavage. Nous demandons également explicitement à nos clients de ne pas venir s’ils se sentent malades. Nous garantissons leur sécurité, ils doivent faire de même avec la nôtre.

C’est déjà bien précis…

Ca l’est, oui. Du moins, autant que cela soit possible. Parce que combien de personnes pourrons-nous recevoir ? Nous voulons également le savoir de toute urgence. On ne sait rien…

Combien de clients pouvez-vous accueillir en temps normal ?

45.

Et de combien de personnes avez-vous besoin pour que cela reste rentable ?

30 à 35 par service.

Et si l’on impose d’ouvrir à la moitié de votre capacité ?

Ce n’est pas possible. Je ne peux pas mettre en place une équipe de 25 personnes pour servir une vingtaine de clients. Si nous ne pouvons ouvrir qu’à moitié de notre capacité, il y a deux options pour moi: garder le restaurant fermé ou renvoyer les gens. Et je ne le veux vraiment pas !
J’adore mes gars et quand j’allume la télé ces jours-ci, j’entends juste parler de licenciements. Un millier de personnes chez Brussels Airlines. Ils devraient également tenir compte des milliers de travailleurs de la restauration qui ne veulent pas se retrouver à la rue. Notre gouvernement précédent n’a-t-il pas toujours parlé de jobs, jobs, jobs ? Mon message est donc simple: travaillons correctement. Ensuite, il y aura suffisamment de revenus et nous pourrons payer tout le monde.

Peut-il y avoir 30 personnes dans votre restaurant espacées d’un mètre cinquante de distance ?

La règle du mètre et demi. Tout dépend du type de table que vous avez.

C’est-à-dire ?

Nous avons de grandes tables rondes où les gens regardent tous vers le centre. Lorsque vous parlez, les gouttelettes éventuelles vont au centre de la table. Il n’y a aucun risque de s’asseoir dos à dos avec d’autres clients chez nous. C’est différent pour les tables carrées et on devra mesurer le mètre et demi. Ils ont en fait de la chance que nous soyons tous de bons citoyens. Nous écoutons et restons silencieux. Si tout n’ouvre pas avant le 8 juin, nous serons restés fermés pendant presque trois mois. Je me demande parfois si ces personnes qui écrivent toutes ces lignes directrices savent ce que cela signifie pour quelqu’un. Nous sommes des humains, pas des poulets que l’on peut garder dans un enclos.

Vous vous emportez…

Oui ! Parce qu’ils ne sont pas du tout préoccupés par toute cette incertitude. Mettez-vous à la palce de quelqu’un qui vient d’investir dans une nouvelle entreprise. Et j’en connais pas mal. Vous pouvez parfois parler à la banque, mais cela ne signifie pas que tous vos coûts ont disparu. Certains sont couverts, mais toutes les factures ne sont pas payées avec cela.

Il existe des mesures de soutien : 4000 euros et 160 euros par jour à partir du 5 avril. Certains établissement, comme de petits cafés, s’en satisfont..

C’est comme un vieux coiffeur à qui il restait deux clients par jour. Ils gagnent plus avec les aides que ce qu’ils avaient comme revenu. Mais ce sont des exceptions. C’est bien qu’il y ait une telle prime, que ce soit clair, mais pour beaucoup, c’est juste un petit sparadrap sur une grosse plaie. Et encore plus, si cela prend si longtemps. Je paie 10 000 euros par mois pour mes assurances. Mon personnel administratif travaille également encore en partie. Tout comme le personnel d’entretien. J’ai perdu des centaines de milliers d’euros de revenus.

Combien de temps le Hof van Cleve peut-il survivre sans revenu ?

Heureusement, nous avons des réserves. J’ai travaillé dur depuis 35 ans.

Pourquoi n’avez-vous pas commencé un service traiteur pour assurer un revenu ?

Ce n’est pas possible pour nous. Vous ne mettez pas le Hof van Cleve dans une boîte en plastique. Ce que nous faisons est une expérience. C’est entrer, se faire dorloter, prendre un apéritif, voir du pain servi à table, etc… et profiter pendant trois à quatre heures. Comme aller au théâtre. Vous ne pouvez pas remplacer ça. Maintenant, c’est une bonne solution pour bien d’autres. Et j’en suis heureux pour eux, mais ce n’est que temporaire. Parce qu’in fine, aller au restaurant, c’est surtout profiter, passer un bon moment. Nous devons y retourner de toute urgence. C’est pourquoi je veux aussi dire autre chose. Quelque chose de positif.

Aller de l’avant.

Nous devons cesser de faire peur aux gens. Aussi dans la presse. Oui, les gens meurent et c’est très triste. Mais il faut aussi oser repenser à la beauté de la vie. Nous devrons oser en profiter à nouveau. Sinon, nous n’aurons plus de vie. Il est donc temps de regarder à nouveau vers l’avenir. Pour redonner un objectif aux gens. J’entends mon personnel presque tous les jours, et ces jeunes disent la même chose tous les jours : « Chef, quand peut-on recommencer ? » Tout le monde a envie. Nous sommes prêts à fonctionner en toute sécurité. Par conséquent, cher gouvernement, réveillez-vous ! Vous avez éteint le feu lorsque le virus a fait rage. Et c’est très bien. Mais il est temps d’allumer d’autres feux. Il est temps de rallumer tous les feux des fourneaux des restaurants !

Source : DeStandaard.be