Dites-nous Philippe Limbourg… : « Un restaurant, c’est toute l’année. Pas juste à la sortie des guides ! »

24 janvier 2019

Philippe Limbourg est un amoureux de la gastronomie, il en a fait ses métiers. Après quinze années passées aux commandes éditoriales d’un guide Gault&Millau qu’il a rendu incontournable en Belgique, il a repris sa liberté et est passé de l’autre côté de la barrière. Son intolérance au lactose a été le Prétexte à sa nouvelle carrière : de prescripteur de restaurants, il est devenu producteur d’aliments, en gardant bien la même volonté : le plaisir de la table. Rencontre avec un homme qui aime avant tout rendre les gens heureux, sans les écraser de son savoir, préférant le partager simplement. Avec malice, et avec quelques jeux de mots.
Alors, dites-nous Philippe Limbourg…

pretexte

Un plat ?

L’Os à moelle avec le carpaccio de Saint-Jacques et le caviar belge de chez Arold Bourgeois au Little Paris ! (ndlr : à Waterloo) Tout y est : le goût et la gourmandise. J’aime ce plat pour sa simplicité. Je peux le manger chaque fois que je vais chez lui. Et je trouve que ce plat résume bien ce tout qu’il faut dans l’assiette aujourd’hui. L’os à moelle, bien sûr. Ensuite, la finesse du produit pour la Saint-Jacques et enfin la touche de fraicheur avec le caviar. Tout est dit ! A la maison, j’aime bien faire l’ossobuco. Sinon, de manière plus basique, un spaghetti bolognaise. Dès que je peux ! (rires)

Un produit ?

Le Prétexte ! (rires)… Parce que je vis avec jour et nuit pour l’instant. Je le goûte, je fais 5des essais et donc de toute évidence, c’est le produit que je mange et que je travaille le plus pour l’instant. L’idée de Prétexte est venue de trouver des solutions pour nous permettre à ma fille et à moi d’avoir du plaisir tartinable et cuisinable qui remplace les produits lactés. J’ai rencontré René Mathieu (chef étoilé du Château de Bourlingster au Grand-Duché de Luxembourg) qui fait ça depuis des années dans son restaurant. En allant manger chez lui avec un ami, on s’est dit qu’il fallait que l’on fasse quelque chose avec ce produit. René nous a fourni les bases de travail et j’ai ensuite passé six mois dans ma cuisine pour l’adapter. Ensuite, dès les premiers passages en laboratoire, dès les premières analyses, je me suis aperçu que faire un produit dans un restaurant et faire un produit qui va être vendu dans le commerce, ce sont deux métiers distincts ! Les contraintes sont radicalement différentes. Je suis allé chercher des réponses au Smart Gastronomy Lab à Gembloux par rapport notamment au côté bactériologique et nous avons travaillé avec des laboratoires pour des analyses nutritionnelles. Et nous sommes enfin arrivés à proposer nos deux premiers produits. Ca se passe bien, les réactions sont bonnes. Et c’est d’ailleurs assez amusant de voir la tête des gens quand ils goûtent nos produits. Les commentaires qui reviennent est que « c’est surprenant » et l’autre réaction est que l’on a « envie de replonger dedans ». C’est ce que je voulais : ce côté gourmand et plaisir.
Maintenant, en cuisine « traditionnelle », si je dois choisir un produit, ce sera le cabillaud. Que ce soit en version skreï ou bien classique. J’aime… Et j’aime encore plus depuis qu’on a la chance d’avoir un four vapeur à la maison. Je l’ai déjà travaillé dans plein de versions différentes, y compris dans le Römertopf. Et c’est très gai. J’aime ce produit.

Une matière ?

J’aurais pu dire le bois, qui est une matière que j’aime beaucoup. Mais je vais dire le zinc. Par ce que, et bien sûr, il y a le zinc du bar sur lequel on s’accoude pour boire un verre entre copains, mais surtout ça me ramène et me fait penser à certaines cuisines ou certaines textures que l’on retrouve en cuisine.

Un endroit où vous aimez aller manger ?

Chez un couple d’amis, où je vais régulièrement. Parce qu’on y refait le monde. Et la cave et le frigo au passage ! (rires) Parce que forcément, on le vide chaque fois ! Plus sérieusement, ce couple d’amis représente beaucoup pour moi. On se connait depuis vingt ans. Chez eux, on partage les mêmes plaisirs, ceux de la table et du vin. C’est un camarade avec qui je fais toutes les dégustations à l’aveugle, chaque fois qu’on va boire un verre chez l’un ou chez l’autre, c’est à l’aveugle. Et surtout, on a des discussions, parfois très franches, sans toujours partager le même avis. Parfois, on se prend la tête mais c’est toujours raisonnable. Jamais l’un de nous n’est parti en claquant la porte. Mais à l’inverse, il m’est arrivé de débarquer chez eux en pleine nuit, parce que ça n’allait pas du tout, et voilà… Je sais que chez eux je peux aller. Et en plus, Elle cuisine bien ! (rires).

D’où vous vient cette passion pour la cuisine ?

pretexteAutant à la maison, c’était cuisine ménagère, ma mère rentrait tard – je suis un enfant qui a grandi à la garderie sauf le mercredi où ma maman prenait congé, et donc quand on rentrait le soir, c’était vite dégeler un cabillaud, vite dégeler des épinards et vite faire une purée. Mais par contre, mes grands-parents… Je suis un vrai belge dans tous les sens du terme puisque mon grand-père paternel, Limbourg, était de Malmédy et sa femme avait des origines germaniques, tandis que de l’autre côté de la famille, j’avais un grand-père flamand marié à une grand-mère française. Ce qui fait que, dans les cantons de l’Est, les plats de gibier étaient magnifiques et de l’autre côté, c’était plutôt le gigot du dimanche, à la française. On avait nos classiques incontournables : elle faisait son pâté elle-même, ou les cakes qu’elle faisait très bien aussi. J’avais des notions de goût mais qui étaient plus des madeleines de Proust que de la cuisine du quotidien. Et puis, le vin. C’est comique car mon goût pour le vin, je l’ai développé chez mes voisins. Le père de mon meilleur ami avait une très belle cave, et de temps en temps, j’allais les rejoindre à la fin du repas pour retrouver mon ami et parfois je recevais un petit verre (rires), comme le Chasse-Spleen ou la Bécasse. Plus tard, j’ai fait du baby-sitting pour une famille près de la maison. Le papa s’était rendu compte que je m’intéressais au vin et donc, quand ils rentraient du cinéma ou du théâtre, sa femme allait au lit et nous, on ouvrait une bouteille. A la fin, il payait mes baby-sittings en bouteilles de vin (rires). C’est d’ailleurs lui qui m’a engagé quelques années plus tard dans son bureau de traduction et c’est là que mon goût pour la table est vraiment né. Nous allions manger très régulièrement et souvent au même endroit, dans un restaurant qui n’existe plus, ça s’appelait l’Echalote, c’était à Genval. Le chef, aujourd’hui décédé, c’était un personnage ! Chez lui, j’ai appris les produits. Le gars était un peu fou. C’était un ancien chauffeur de car. Il avait fait tous les métiers : boucher, chauffeur de car donc, légionnaire, etc. Parfois quand il n’arrivait pas à dormir, il prenait sa voiture et faisait un aller-retour à Rungis sur la nuit, y chercher des produits puis il remontait. Il faisait des plats dont j’ai encore aujourd’hui le goût en bouche.

Le cuisinier qui vous impressionne le plus ?

Et bien, et ça va peut-être vous surprendre, mais c’est Jean-Marie Bucumi, qui est le cuisinier du Bistro Racine à Braine-le-Château. Il m’impressionne d’abord parce que j’aime sa cuisine. Mais il m’impressionne aussi parce… Vous savez… Il y a beaucoup de chefs qui se plaignent parce qu’ils ont un peu mal au dos ou mal de tête, mais quand on connait le quotidien de ce garçon qui se fait une dialyse lui-même tous les soirs après son service… Oui là, on se dit que… ça, c’est impressionnant.

L’endroit où vous vous sentez bien ?

Nous avons un gîte, dans les Ardennes, avec mon frère. A Thirimont, dans la commune de Waimes, au-dessus de Malmédy. A l’origine, c’était à mes grands-parents, donc ça remonte… Et là, quand j’y suis, au coin du feu, avec la vue sur la vallée, je savoure. Ca m’est arrivé d’y aller seul, un jour ou deux. C’est un gîte pour une quinzaine de personnes. On aime y aller en famille ou avec des amis. C’est un endroit simple, un peu rustique, style chalet de chasse, avec des trophées à gauche et à droite. C’est ressourçant.

On trouve quoi à coup sûr dans votre frigo à la maison ?

Du Prétexte ?!… (rires) Au-delà de ça, du fromage ! C’est assez comique car je suis intolérant au lactose et l’une de mes filles aussi. Donc, autant il y a toujours du Prétexte, autant il y a toujours aussi du vrai fromage. De préférence des vieux Comté et des vieux Parmesan car là on n’a pas de problèmes. Ma compagne aime aussi. Il y a toujours du fromage, c’est sûr.

Un premier jour, une première fois qui vous a marqué ?

Le premier jour après Gault&Millau, c’était un soulagement… Mais ce qui peut être plus d’actualité, ça peut être le premier jour où j’ai été au chômage. Ca a duré quand même une demi-heure… (rires) Après l’université, j’ai travaillé dans un bureau de traduction à La Hulpe. Après trois ans et demi, j’avais fait le tour et entre le patron et moi, il restait une personne, qui avait des visions managériales très différentes de ce que j’avais appris à Solvay. Et par rapport à ce que j’avais vu, on appliquait l’inverse. Donc, j’ai quitté et je suis parti dans une boite flamande qui éditait des magazines d’entreprise. Là, j’ai fait mes premiers magazines culinaires. J’étais rédac’ chef mais à côté de ça j’ai développé le contenu rédactionnel francophone du magazine Cuisine Créative, qui était à l’époque distribué par Solo, Unilever donc. Et au départ d’un feuillet distribué avec les briquettes Solo, on en a fait un magazine lifestyle qui était tiré à 90 000 exemplaires. Un pretextejour, la société en question a dû restructurer, 30% de personnel passait à la trappe. Sur 30 personnes, nous n’étions que 2 francophones. Ma femme était enceinte de notre premier enfant et nous venions d’acheter notre maison, le chômage ça n’allait pas le faire. J’ai donc posé la question à celui qui me licenciait : « Que vas-tu faire des clients francophones ? » La moitié des clients étaient francophones, il fallait tout traduire d’office. Donc, je lui ai dit : »Si demain, je m’installe comme indépendant, tu viens chez moi pour la traduction en français ? » Je suis donc devenu indépendant dans le bureau du gars qui m’avait licencié. J’ai créé ma boite ce jour-là. Quelques mois plus tard, une copine me dit qu’elle a un client pour lequel elle doit traduire des textes de restos, avec plein de termes culinaires auxquels elle ne comprend absolument rien. C’était donc les premiers textes du premier guide Gault&Millau Benelux. Préférant rédiger plutôt que traduire, je l’ai dit à Marc Declerck (Directeur du Gault&Millau), en soulignant que j’aimais aussi aller manger aussi (rires). Nous sommes allés manger dans un resto grec près de la rue de Flandre à Bruxelles, le Strofilia, et il m’a fait goûter toute la carte. C’est là que l’aventure Gault&Millau a commencé.

Quel serait le message que vous voudriez faire passer par rapport à vote métier ?

Que les chefs arrêtent de penser qu’un point en plus ou une étoile en plus, cela va remplir leur restaurant. C’est bien pour leur carrière, c’est bien pour leur ego. Et je le comprends. Mais le graal du point en plus… L’étoile, c’est encore différent, bien qu’il y ait assez de cas qui prouvent qu’un restaurant étoilé n’est pas forcément ni rempli ni rentable. Mais par rapport à Gault&Millau et j’en ai encore parlé dernièrement avec un chef qui avait perdu un point cette année et qui me disait qu’il avait plus de clients qu’avant. Il ne faut pas courir derrière ce point en plus. Alors oui, c’est motivant pour l’équipe, mais après quoi on court finalement ? Je donne toujours l’exemple de Sergio Herman (NDLR : Oud Sluis à l’époque) qui a arrêté son restaurant le jour où il a eu 20 sur 20 et 3 étoiles ! Donc… Est-ce que c’est ça le but ? Atteindre le top et puis arrêter ? Je me suis par ailleurs toujours opposé au 20 sur 20. Les seuls qui ont eu 20 sur 20 (NDLR : Sergio Herman, Marc Veyrat), ils ont arrêté leur restaurant, donc finalement derrière quoi on court ? Je pense que les guides aujourd’hui donnent une échelle, qui aide à comparer certes, mais c’est une échelle qui reste globale, ce n’est pas la précision chirurgicale, parce qu’on ne va pas visiter tous les restaurants, tous les menus, tous les mois et donc, oui ça reste un instantané qui est parfois subjectif et qu’il faut relativiser. Et ensuite, ça ne reflète pas toujours la clientèle du quotidien de ces restaurants. Il faut faire attention à cela. Cela reste certes un bon outil de communication dans le sens où c’est un coup de projecteur au moment de la sortie du guide pour tous ceux qui montent, qui ont de beaux points ou ceux qui sont mis en avant en obtenant un trophée, etc. Et il ne faut pas retirer ça au Gault&Millau. Alors qu’à l’inverse chez Michelin, hormis les Bib et les étoiles, il n’y a rien. Mais ça s’arrête là, un restaurant, c’est toute l’année, ce n’est pas juste au moment des guides.

Quelque chose que vous n’avez jamais dit sur votre métier ?

C’est une bonne question. Je suis quelqu’un de transparent et d’honnête, c’est assez compliqué de trouver une réponse… Peut-être le fait que je n’ai aucune formation de cuisinier. Et je pense que c’est mieux. Quand je vois d’autres guides où ils n’engagent uniquement que de gens qui sont passés par la filière hôtelière. Parce que, entre nous, si tu fais l’hôtellerie aujourd’hui, c’est parce que c’est ta passion. Et tu dois réussir dans ta passion ! Si tu la réussis, tu es restaurateur, pas critique ! J’ai l’intime conviction que si tu deviens critique, c’est parce qu’il y a quelque part une sorte de frustration, sinon tu aurais ton restaurant. Et cela n’aide pas non plus à voir les choses du côté client. Moi, je n’ai pas de formation de cuisinier mais je sais comment une viande doit être cuite, comment un poisson doit l’être. Parce que j’en ai mangé des milliers. Et j’ai vu la perfection comme j’ai vu le pire. Et je peux comparer sur base de toutes ces expériences, pas sur ce qu’un prof m’a appris. Je crois que l’on a plus facile à évoluer via l’expérience client que d’arriver avec des « je sais » parce que j’ai été formé il y a vingt ans.

La « crasse » à laquelle vous ne pouvez résister ?

Les wine gums ! Mais les vrais… Les ‘English Wine Gums’, tout ce qu’il y a de plus beau comme saloperie, c’est bourré de gelatine. Et mes filles ayant tendance à vider le pot, je dois parfois me battre pour en avoir.

Un truc que vous utilisez en cuisine ?

Le vinaigre au fond de l’assiette quand je fais des oeufs sur le plat. J’ai lu ça dans le bouquin de Bocuse. Et c’est l’un des trucs que j’avais retenu lorsque je cherchais à savoir comment il faisait ses oeufs sur le plat. Il mettait un peu de vinaigre blanc au fond de l’assiette, puis il posait son oeuf. C’est assez intéressant.

Un vin ?

Vive la Vie !… « Vive la Vie », c’est un magnum blanc, du château de Fosse-Sèche. Un vin que Guillaume et Adrien Pire, deux jeunes wallons établis en Loire, ont produit l’année du décès de leur Papa, dont ils étaient très proches. Il était ingénieur hydraulique, il a beaucoup travaillé en Afrique, à Madagascar. Pour lui, ils ont fait une cuvée spéciale, avec une sélection parcellaire qui est juste dingue. Un vin magnifique dont ils ont tiré un nombre limité de bouteilles et uniquement en magnum. Tous les profits nés de ce vin servent à financer la fabrication de puits en Afrique. Il y a toute une histoire derrière ce vin. D’abord, il y a le vin qui est fabuleux et puis, aussi la bouteille est superbe. L’étiquette est un dessin qui retrace la vie du père. « Vive la Vie » est une expression qu’il disait souvent, c’est dans cette philosophie qu’il a éduqué ses fils et c’est là qu’on se rejoint. Ils sont devenus des amis, je passe une ou deux fois par an chez eux à la propriété. C’est un pur plaisir de partager et de boire ce vin ensemble. Et je n’en ai jamais acheté pour le boire à la maison, je ne le bois que chez eux. Et avec eux.

Une musique ?

« Rouge Ardent » d’Axelle Red. Parce que j’aime la mélodie, bien sûr. Les paroles évoquent quelqu’un qui vient de partir, qui a choisi de partir. Cela fait partie de ces moments difficiles auxquels nous sommes parfois confrontés. Un moment auquel moi j’ai été confronté, parfois avec des très proches, y compris dans ma famille. Et puis, même dans la vie affective, des gens tournent une page et je trouve cette chanson très belle. Alors, avec les musiques, je fonctionne avec des playlists et je vais parfois rechercher cette chanson. Pas forcément quand je suis en mode spleen mais juste quand j’en ai envie ou besoin.

La dernière chose qui vous a fait rire ?

La tête d’un acheteur, un distributeur de Prétexte quand il a goûté. Parce qu’il est passé par différents stades et à un moment donné, après un temps de réflexion, il me dit : »Je replonge dedans hein ?!!! (rires) Ca m’a fait rire !

La dernière chose qui vous a rendu triste ?

C’est le départ de quelqu’un, dernièrement. A nouveau un départ volontaire. Ce n’est jamais gai, évidemment. Mais d’un autre côté, ça te fait plus que jamais prendre conscience de ce dont il faut profiter dans la vie et les priorités à mettre.

Le geste simple du quotidien qui vous fait du bien ?

Conduire et aller chercher mes enfants à l’école. Que ce soit les grandes, et même si je dois me battre un peu pour qu’elles lâchent leur téléphone en voiture, mais c’est souvent un moment propice à la discussion. Et la petite, parce que quand je le fais, je fais le chemin à pied avec elle et c’est un peu notre balade dans le village. Et c’est souvent le moment des petits sourires, des petites réflexions.

Une cuisine ?

C’est la cuisine française. J’aime la cuisine belge, j’aime la cuisine italienne, mais bon… Toutes les bases viennent de la cuisine française. Même si les italiens vont dire que c’est la cuisine italienne qui sert de pretextebase à la cuisine française. Les bases, les produits, c’est de là que ça vient. Bien sûr, on a les plats mijotés comme les carbonnades, on va dire « oui c’est belge » mais ça reste un plat mijoté inspiré comme d’autres de la cuisine française. Le simple poisson grillé meunière, c’est la cuisine française. Une bonne pièce de boeuf que l’on va faire avec une sauce béarnaise, c’est la cuisine française. Et moi, c’est ce que j’aime. Ce que je regrette, c’est qu’aujourd’hui, les grands restaurants sont très très largement dirigés et inspirés par des gens qui ne vont manger que dans des « grands », qui prennent l’avion pour aller vérifier que cela vaut bien deux ou trois étoiles. Et du coup, ils ne sont habitués à manger que ce niveau-là, avec cette variété d’ingrédients-là et c’est comme ça qu’aujourd’hui, on a par exemple du yuzu partout, parce que c’est tendance. Le jour où en Belgique, on arrivera à avoir restaurant trois étoiles qui ne travaillera qu’avec des produits belges, avec les produits de la mer du Nord, et avec la viande belge, que ce soit la Rouge des Flandres ou le Blanc-Bleu (s’ils continuent à travailler convenablement pourquoi pas ?)… On peut rêver. Mais tant que Michelin ne changera pas sa politique. Michelin ou les autres guides. Parce que tous les classements internationaux, les Best Of, etc, quand on voit comment c’est fait, on n’aura jamais 40 belges dans le top 50 !

Votre meilleur souvenir de table ?

Je ne vais pas aller chercher très loin. C’est le dîner à quatre mains entre Quique Dacosta et San Degeimbre à Liernu. Pourquoi c’est mon plus grand souvenir de table ? Parce que dans l’assiette, c’était juste dingue. Et d’ailleurs mon plus beau moment à table hors de ce moment-là, c’était aussi chez Quique Dacosta quand j’y suis retourné. Ce qui a fait que ce 4 mains était un moment magique, c’est qu’on avait, d’une part en cuisine les deux chefs qui s’entendaient comme larrons en foire et leur cuisine était en parfaite symbiose. Pas un ne dominait l’autre, ils étaient tous les deux au top ce soir-là ! C’était magique. Et d’autre parte, en salle, il y avait un tandem avec Carine (Nosal) et Didier (Fertilati). Didier qui est le maitre d’hôtel de Quique Dacosta, est moitié français moitié espagnol, et ce gars, ce jour-là, nous a donné un cours sur ce que doit être la salle d’un grand restaurant, à mon avis pour les cinq prochaines années. Il a tout compris ! Faire une découpe, ouvrir une bouteille de vin avec classe et d’un autre côté afficher une totale décontraction. L’anecdote : A un moment, un couple était dans un coin, la dame s’absente un instant, Didier s’approche de la table, replie la serviette de la dame, s’assied à leur table face à son compagnon et lui dit : »Ca va ? Tout se passe bien ? » (rires) Alors, certes, les gens peuvent être surpris mais il fait ça de manière tellement naturelle ! Là, on n’a pas affaire à des porteurs d’assiettes qui balancent du « ça vous a plu ? » (et qui n’écoutent même pas ta réponse), mais bien à des gens qui ont une vraie discussion et participent à l’expérience globale. Ce jour-là, l’expérience globale était parfaite.

Propos recueillis par Laurent Delmarcelle à Wavre, le 14 janvier 2019. – Photos Anthony Dehez

L’actualité de Philippe Limbourg, c’est Prétexte, qui sera présent cette semaine au Sirha à Lyon dans les bagages de l’équipe belge qui va à la Coupe du Monde de Pâtisserie et aux salons « C’est Bon c’est Wallon » de Marche en Famenne et Court Saint-Etienne.
En marge de cela, Philippe Limbourg prépare les démos culinaires du salon Horecatel à Marche-en-Famenne qu’il animera avec passion comme il le fait depuis 7 ans.

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