Source : Les 5 du Vin
Voici une petite liste d’idées reçues à propos du vin, qui, si elles n’ont pas inspiré Flaubert pour son fameux dictionnaire, méritent tout de même l’attention de l’honnête homme, surtout oenophile.
Les petits rendements font les grands vins.
A ce compte-là, le plus petit Corbières serait meilleur que le plus grand cru d’Alsace.
Le rendement exprimé en hl/ha n’a pas beaucoup de sens, il faut tenir compte de la densité de plantation, de la pente, du sol, des conditions climatiques, du cépage…
Les levures indigènes ou naturelles sont meilleures que les levures de laboratoire.
Nous vivons entourés de bactéries et de levures, nous en apportons dans les caves à chaque fois que nous en visitons, des équilibres se créent, se défont, se recréent. Le concept de levure naturelle est à manier avec de longues pincettes. Pour un exemple où effectivement, on a obtenu un vin différent (et intéressant) en « laissant travailler les levures naturelles » (j’ai souvenance d’un cas dans le Palatinat), combien de cas contraires? D’un autre côté, des levures sélectionnées peuvent totalement changer l’aromatique ou le taux d’alcool d’un vin (c’est parfois écrit en toutes lettres sur la boîte). Attention à ne pas jouer les apprentis-sorcriers!
Le soufre est un des apports de l’oenologie moderne qui standardisent le vin.
Ce sont les Hollandais, au 17eme siècle, qui ont « méché » pour la première fois les barriques pour améliorer la stabilité du vin dans le transport.
Le modernisme est donc tout à fait relatif. Nos grands pères soufraient. Leurs pères aussi, bien avant que l’on parle de « tout chimique ».
L’avenir est au bio.
A titre perso, je l’espère. Pour le vin en lui-même, mais surtout pour les vignerons qui épandent les pesticides au risque d’y laisser leur santé, et pour la planète. Pour autant que l’on règle le problème du cuivre, bien sûr.
Les bio, qui traitent mécaniquement et plus souvent, auraient un moins bon bilan carbone. Peut-être, mais les effets des pesticides dans nos nappes phréatiques me semblent plus graves, à court terme. Et pour la qualité du vin? Là, je botte en touche. J’ai déjà dégusté de très mauvais vins bio – notamment ceux de viticulteurs qui sont passés au bio pour des raisons d’opportunité plus que de conviction. Le bio est-il en train de perdre son âme? Cela mériterait un plus long développement.
La tradition, il n’y a que ça de vrai!
C’est quoi, une tradition? Ca remonte à quand? La syrah n’existait quasi pas en Languedoc avant les années 1960. La tradition languedocienne, avant le phylloxéra, c’étaient des cépages quasiment disparus, car soit compliqués à vinifier, soit peu productifs, soit peu qualitatifs, comme le Terret ou le Piquepoul noir. En 1850, on considère encore le Grenache comme un nouveau venu dans la vallée du Rhône. En Costières, on ne jure que par le Plant de Saint Gilles – le Mourvèdre.
Dans le Médoc, on trouve à l’époque beaucoup de Petit Verdot (dont on nous dit qu’il améliore les cabernets)
A Saint Emilion, le cépage principal n’est ni le Merlot, ni le Cabernet, mais le Noir de Pressac, alias Malbec. C’est dire comme les temps changent.
Et encore ne parle-t-on que des cépages. Que faut-il penser de techniques modernes de vinification, apparues dans les années 60-70. Que seraient nos vins sans le contrôle des températures? Mais que penser du micro-bullage, de la cryoextraction, de l’osmose inverse? Où s’arrête l’aide au vigneron, et où commence le lissage des millésimes, le gommage de l’effet terroir?
Chouette, un vin élevé (pas très longtemps, quand même) dans le respect de la tradition!
Pour être juste, il faudrait aussi tenir compte de l’évolution du goût des consommateurs (nos grands pères buvaient des vins de 10 à 11°, rarement plus), de la baisse des rendements moyens, du passage des vignes franc de pied aux greffes sur plants américains et du réchauffement climatique.
Le Champagne fait moins mal à la tête que les autres effervescents.
C’est ce qu’ont répondu des Belges, dans les années 90, à des sondeurs. Mais c’est ce qu’on appelle du déclaratif. Ce n’est pas parce qu’on le dit que c’est vrai.
Le Champagne fait cependant plus mal au portemonnaie, alors depuis, pas mal de Belges sont passés au Cava.
Les rosés de coupage sont imbuvables. Ils sont une insulte au vin de qualité.
Plusieurs dégustations à l’aveugle ont prouvé que le consommateur ne pouvait pas faire la différence. Dans certains cas, il préfère même le rosé coupé. Et puis, il y a le cas du Champagne rosé: cette appellation autorise le coupage et personne ne s’en plaint.
Par ailleurs, le « coupage » des raisins blancs et rouges, lui, est autorisé dans bon nombre d’appellations de rosé, y compris les plus connues, comme Côtes de Provence ou Coteaux d’Aix.
Les vins nature sont intrinsèquement meilleurs.
Vous êtes bougnat à Paris, spécialisé dans le sans soufre, et donc ça vous arrange de le croire. Moi, je préfère déguster. On en reparle après. Et ne me dîtes pas que je dois éduquer mon goût au vin nature, ou je vous dirai qu’il vous faut vous éduquer pour lire mes articles.
Les vins nature sont intrinsèquement mauvais.
« Tous oxydés, tous pleins de volatile, tous surfaits. Une arnaque, quoi ». Là encore, je dis, dégustons. J’adore certains vins de Lapierre, de Terre des Chardons, des Côtes de la Molière. Pas de soufre, mais pas de déviation on plus.
La France, fille aînée de Bacchus, possède les meilleurs terroirs au monde.
Il n’y a pas de « meilleurs terroirs au monde », juste des terroirs dont l’histoire a prouvé la valeur; et c’est lié non seulement au sol, au climat et à leur adéquation aux cépages, mais aussi aux usages locaux, à la qualité du substrat humain et au commerce du vin.
Dans l’Antiquité romaine, les vins les plus cotés étaient ceux de Carthage, les auteurs latins y plaçaient les meilleurs crus de leur monde.
Au Moyen-Âge, le Roi Philippe Auguste, lui, les plaçait à Chypre.
Les meilleurs vins du monde sont ceux de Bordeaux.
Si c’est Robert Parker qui le dit…
Mais si on me laisse voix au chapitre, je vous dirai que tout classement est un instantané, une photo figée dans le temps.
En 1750, le Duc de Richelieu, gouverneur de Guyenne, écrivait à Louis XV que sa province ne produisait guère que de « petits vins ». 30 ans plus tard, le New Claret était sur la table de George Washington. Par ailleurs, parler de meilleur vins du monde, c’est établir une drôle de hiérarchie. Entre quoi et quoi?
Rayas est meilleur qu’Yquem.
Comparer Yquem et Rayas, Margaux et Romanée Conti, Constantia et Montalcino, Hugel et Lapierre, Vega Sicilia et Errazuriz, Gaja et Dagueneau, c’est totalement idiot, non? Et pourtant, des classements de ce genre existent, le Wine Spectator en sort un chaque année.
C’est un peu comme si on voulait classer les peintres, les musiciens ou les monuments. Bach est-il meilleur que Mozart? Monet meilleur que Rembrandt? Le Taj Mahal meilleur que Notre Dame?
Ne faisons pas de préférences subjectives, à un moment donné, pour un dégustateur donné, un critère d’évaluation dans une perspective historique, avec toutes les implications commerciales que cela comporte.
Lundi, je préfère ce Cahors, mardi, ce Chianti, mercredi, ce Marestel, jeudi, ce Chinon. Samedi, je m’éclate au Côte Rôtie. Dimanche, je bois du café.
Pas de quoi en faire un livre de référence.
Parker déguste mieux que moi.
Sans doute. Et il n’est pas le seul. Ma plus grosse « claque », en la matière, c’est une vigneronne qui me l’a donnée, elle s’appelle Nadine Sire – une dégustatrice hors pair. Heureusement qu’elle n’écrit pas dans une revue de vin!
Par ailleurs, compte tenu de la variété des goûts des consommateurs, je crois souhaitable qu’il n’y ait pas qu’une seule autorité, une seule référence, une seule façon de voir le vin et d’écrire à propos du vin. Je suis contre l’idée de gourou. Mais je respecte la compétence.
Bettane déguste mieux les vins de la Romanée Conti que les vins nature.
Joker.
Je fais de gros efforts pour ne pas avoir d’oeillères ni d’idées préconçues avant de déguster un vin. Pourtant, c’est vrai, je l’avoue, j’ai quelques préjugés – a priori, je n’aime pas trop retrouver du cabernet sauvignon, du sauvignon ou du chardonnay dans tous les coins de France, par exemple. Alors qui suis-je pour juger des marottes, des obsessions ou des préférences d’un collègue? Tout au plus puis-je espérer de lui que devant chaque verre, il les dépose; et que sur le métier, une cent-millième fois il remette son ouvrage.
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