Pourquoi Sergio Herman ferme le Oud Sluis ?

15 juin 2013

Via Vierbordjes.

Cela ne nous étonne pas que Sergio Herman nous communique sa décision de ne plus s’occuper du Oud Sluis par le biais d’une interview toute faite sur son propre site web. Sergio Herman est un chef du 21ième siècle qui sait comment fonctionnent les relations publiques et les médias. Il a très bien compris que ce n’est pas uniquement la cuisine qui influence son image, mais que ce sont la marque ‘Sergio Herman’ elle-même et la façon dont elle est vécue qui déterminent son succès. Tout comme sa cuisine, il veut que la communication soit ‘parfaite’.

Il suffit de regarder ses livres et son site web, les vêtements de ses collaborateurs en salle, l’intérieur de ses restaurants, la présentation de ses plats. Herman sait très bien que le look et le design sont fort importants. Le goût est un aspect important, mais la vue l’est toute autant. Tout comme l’ouie. Herman était un des premiers chefs qui osa introduire de la musique moderne dans un trois étoiles. Et s’est fait faire un tattoo. Il a aussi édité un livre de cuisine pour étudiants intitulé « Pimp your f**king kotfood! », Sergio Herman ne voulait pas devenir vieux. Ni devoir vivre que d’autres le dépassent. Sa décision fait partie intégrale de cette vision sur son travail et sa vie.

Cela peut paraître étonnant pour un trois étoiles avec une réputation internationale, mais le Oud Sluis est devenu trop petit pour lui. Il suit l’exemple d’autres chefs, surtout français et américains, qui – pour utiliser la terminologie du marketing – font du « brand stretching »: ils utilisent leur nom pour d’autres projets que uniquement leur restaurant, ils continuent à le guider, sans faire le travail opérationnel. Cela leur permet de rentabiliser leur talent et notoriété au maximum : plus de plaisir et de satisfaction, plus de revenus. Il faudrait être fou pour ne pas le faire. Mais il faut en être capable, bien évidemment. Et Herman a les capacités. Cela fait déjà pas mal de temps qu’il préparait cette évolution, son avenir. Il a lancé Pure-C et bientôt La Chapelle, collabore avec des chaînes de télévision et la presse écrite, crée des repas préparés (pour entre autres Delhaize), est devenu actionnaire d’un éditeur culinaire, a collaboré à des actions de marketing d’autres marques (Cacao Barry, Johnnie Walker, ustensiles de cuisine Demeyere …), a développé des produits avec des entreprises et des créateurs (une veste de cuisinier, une cuisine, un couteau, de l’huile culinaire…), vend des produits sur son propre site web.

Sergio Herman est toujours au faîte du progrès. Ainsi, il évite ce qui arrivé à beaucoup de chefs lorsqu’ils passent le cap des 40 ou 50 : ils sentent l’usure, deviennent fatigués et même exténués. Il est fort probable que cela serait arrivé aussi à Herman s’il était resté au Oud Sluis.

Dans sa cuisine aussi, Sergio Herman a toujours voulu être au top de la modernité. Ce n’est pas un innovateur du calibre de Paul Bocuse, Ferran Adrià ou René Redzepi. Il n’a pas influencé une époque, n’a pas créé de nouvelles tendances, il n’est pas à la base d’une révolution culinaire et n’a pas inventé des repas qui figureront encore dans les livres de cuisine dans 100 ans : il aimait trop changer, trop souvent et avec trop de plaisir. Il était toujours bien au courant des tendances culinaires internationales, s’en est inspiré. La fusion, la culture japonaise, la cuisine moléculaire, les présentations artistiques, le retour au produits de tradition et régionaux comme en Scandinavie : ils suivait ces tendances, les a introduit dans sa cuisine. Mais jamais en les copiant ; il s’inspira de la vision et des techniques et y donnait sa propre interprétation. Sergio Herman a connu plusieurs ‘périodes’, comme un artiste, ce qui lui a toujours permis d’être au sommet. Mais cela a fait aussi qu’il n’a pas eu de propre signature, de style unique. Son oeuvre, plutôt que par l’originalité, se caractérise par la virtuosité et par le perfectionnisme. Un choix rigoureux pour les meilleurs produits, la capacité de combiner les ingrédients sans faille, des cuissons parfaites, un équilibre parfait des goûts et des présentations stylisées le démontrent. Et 20/20 dans le Gault Millau des Pays-Bas. Mais la question qui se pose est : que peut encore stimuler le perfectionniste s’il a atteint la perfection ?

A ses 43 ans, Sergio Herman s’est preparé à une nouvelle ‘ère’, celle de l’entrepreneur culinaire. Il devra exceller dans d’autres disciplines que la cuisson parfaite, et il en est bien conscient. Parce que cet homme au langage très typique de la Flandre zélandaise, à la présence d’une star du rock et spécialiste d’expressions comme “plat excitant’ et « sex on a plate », a très bien compris que l’unique talent du cuisinier le confine au Oud Sluis. Il ne vieillira pas aux fourneaux. Et il a raison.