Le show de Ferran Adria : haute technologie et maestria culinaire

24 janvier 2008

Assister lors d’un sélect congrès culinaire madrilène à une présentation du pape de la cuisine d’avant-garde espagnole, Ferran Adria, donne quelque-part l’impression de voir Steve Jobs présenter la dernière trouvaille d’Apple depuis San Francisco.Le gourou catalan de la « cuisine moléculaire » ne porte certes pas le pull à col roulé et les baskets qui distinguent entre tous le PDG de la firme informatique américaine. Plutôt une blouse blanche de cuisinier-laborantin et des mocassins noirs.

Mais le micro-baladeur fixé au coin de la bouche, les allées-et-venue étudiées sur le podium, les films léchés, projetés en fond de scène, pour souligner le propos, rappellent fortement un show technologique à l’américaine.

Jusqu’aux applaudissements d’une salle remplie de spécialistes de cuisine contemporaine –dont bon nombre de chefs, quelques uns dûment étoilés– en extase devant le « gourou ».

Les salves ponctuent régulièrement les démonstrations chimico-culinaires du maître comme on ferait devant des feux d’artifice.

Ferran Adria, trois étoiles Michelin, élu meilleure table du monde pour son établissement « El Bulli » près de Barcelone par la revue britannique Restaurant Magazine en 2006, égrène une dizaine de ses dernières prouesses d’alchismiste du goût.

Un risotto de mûres qui commence par le plongeon des baies noires dans de l’azote liquide, une galette de parmesan cuite au micro-onde (outil pourtant honni et banni des grands chefs), une fleur de yaourt avec un zeste d’acide citrique, un bonzaï de chocolat dont le secret tient dans l’eau glacée.

Le maître âgé de 45 ans expose chacune de ses trouvailles en quelques secondes avec l’appui d’un mini-film. En clou, le complexe processus de fabrication de fraises reconstituées, qui malgré une apparence parfaite de fruits, sont en fait des glaces à base de jus de fraise et d’agar-agar, un gélifiant naturel.

« Liberté, liberté, liberté! » scande pour finir le cuisinier, à l’adresse d’un nombre pourtant réduit de détracteurs qui l’accusent de pratiquer la physique-chimie plutôt que la cuisine. « Surtout pas de polémique. La cuisine est un plaisir! ».

Dans la salle de ce congrès annuel de haute cuisine, (« Madrid Fusion », jusqu’à jeudi à Madrid), le pâtissier parisien Sébastien Gaudard se délecte du show Adria puis déclare sans détour son admiration.

« A chaque fois avec lui, on se prend une grande gifle. C’est un regard différent portée sur la cuisine, quelqu’un de généreux, de curieux et qui s’enrichit de tout », explique ce spécialiste du sucré-salé.

Autre star de la cuisine espagnole, le basque Karlos Arguiñano, célèbre pour les émissions culinaires qu’il présente depuis 15 ans sur la télévision publique, se montre non moins admiratif.

« Dans 200 ans, plus personne ne parlera de nous, mais de Ferran Adria oui », déclare-t-il entre deux séances de photos et dédicaces après avoir reçu à « Madrid Fusion » un hommage en compagnie six autres « télé-cuisiniers » dont le français Joël Robuchon.

« Il est des gens qui se convertissent en mythe vivant. Ferran Adria a révolutionné le monde de la cuisine et aujourd’hui tout le monde l’écoute la bouche ouverte », résume l’organisatrice et fondatrice de « Madrid Fusion », Esmeralda Capel.

Lorsqu’on demande au maître lui-même ce qu’il « pense qu’un Ferran Adria a apporté à la cuisine contemporaine », son regard plonge et ses joues s’empourprent. « Je ne sais pas, il faudrait demander à d’autres », finit-il par lâcher, avec la (vraie, fausse?) modestie de l’artisan.

(Source Afp)