Ducasse marie le "fish and chips" à la gastronomie française

28 novembre 2007

Un « fish and chips » au menu d’un grand restaurant français ? Et pourquoi pas, répond Alain Ducasse, un des chefs les plus étoilés au monde.

A Londres, où il vient d’étendre sa galaxie culinaire, le Français n’a pas peur de s’inspirer de la cuisine anglaise. Shocking. Dos de chevreuil sauce grand veneur, pigeon rôti, velouté de marrons au foie gras… « Alain Ducasse at The Dorchester », vingt-septième restaurant de l’empire Ducasse, est bel et bien français. Mais, entre la poire et le fromage, se faufilent quelques emprunts à la cuisine anglaise, deux mots dont pourtant beaucoup de Français continuent à croire qu’ils ne vont pas ensemble.

Le foie gras vapeur se trouve ainsi acoquiné avec un « chutney », ce condiment à base de fruits typiquement anglais. Le tartare de langoustines est couché sur un lit de gelée, « un clin d’oeil à la jelly anglaise », confie Ducasse. Quant au vol-au-vent, il est l’adaptation d’un « chicken pie » (tourte de poulet), un des plats les plus populaires outre-Manche. « On a détordu le chicken pie pour le faire à notre manière », raconte Ducasse. Et l’emblématique « fish and chips »? « On va le faire dans quelques mois », promet-il, sans peur de faire s’étrangler ses pairs. « J’entends marier le savoir-faire français à la cuisine anglaise », explique Ducasse.

Se voir intégrée dans la carte du chef le plus étoilé au monde (il en compte une quinzaine réparties sur neuf pays), voilà une fabuleuse marque de reconnaissance pour la « haute cuisine » britannique, comme on l’appelle en anglais. N’en déplaise à l’ancien président français Jacques Chirac qui avait il y a peu catalogué la cuisine outre-Manche de « pire (u monde) après celle de la Finlande ». « C’était peut-être vrai il y a 15-20 ans », reconnaît Alain Ducasse. « Mais plus aujourd’hui ». Le chef souligne ainsi son impatience à aller goûter à la cuisine de Heston Blumenthal. Sorte d’alchimiste des fourneaux amateur d’expériences iconoclastes, ce chef est à l’Angleterre ce que Ferran Adria est à l’Espagne. Sa glace au bacon est encore sur tous les palais.

Son restaurant, le « Fat Duck », dans le nord-ouest de Londres, a été pendant plusieurs années classé premier au monde dans le très reconnu palmarès S. Pellegrino des 50 meilleures tables de la planète. Il est actuellement le deuxième. Et la « gastronomie anglaise » ne se limite pas à une seule exception. Alain Ducasse est ainsi obligé de reconnaître que c’est un Anglais, Gordon Ramsay, qui figure parmi ses « plus grands compétiteurs », aux côtés même du Français Joël Robuchon.

Les mauvaises langues soulignent même que Gordon Ramsay a beau avoir dix ans de moins qu’Alain Ducasse, il a déjà constitué un empire semblable à celui du Français: une vingtaine de restaurants, des livres, des shows télévisés… Forte de ses galons nouvellement acquis, la « gastronomie anglaise » ose même partir à la conquête de la France. Ramsay compte ainsi ouvrir l’année prochaine un restaurant anglais au Trianon Palace, à Versailles. « Je fais une indigestion de ces Français qui débarquent et nous disent que notre cuisine, c’est de la m… », lançait Ramsay dans son habituel langage coloré, lors d’un récent entretien au Times.

« Welcome », lance Ducasse qui voit dans cette nouvelle concurrence l’occasion pour les Français de se lancer dans la « révolution » que le chef a lui déjà entamée. Il s’agit d’abandonner le « sérieux et la rigueur » de la haute gastronomie française pour le type de restaurant « accessible » que le fils de paysan landais affectionne. Où mieux le faire qu’à Londres, dans cette « capitale culinaire mondiale de la restauration sexy et moderne », estime Ducasse. Et le chef d’assurer que, à sa table, « on peut venir en jeans ». (Source afp)