La bistronomie est morte, vive…. la suite !

20 mai 2015

Bistronomie

C’est un mot-valise qui a explosé en vol. Trop plein ou trop vide, c’est selon. Le néologisme a vécu, polysémique dès ses origines, et mis aujourd’hui à toutes les sauces. Synonyme d’une cuisine inventive prodiguée à petits prix, réalisée avec de bons produits, la bistronomie bien marketée englobe quasiment toute l’offre de restauration actuelle. Cela va de la chaine de restauration rapide Quick qui prétend faire un « burger bistronomique » jusqu’à la naturalité ducassienne où l’on fait sauter nappe et molleton sur la table et où le service se veut (légèrement) plus décontracté. C’est dire si le mot n’est plus opérationnel pour définir le moindre concept.

Né du vif esprit de Sébastien Demorand lors d’une réunion du Fooding en 2004, ce « bon mot » ne se voulait ni idéologique, ni programmatique. Tout juste voulait-il qualifier les assiettes d’un restaurant parisien, Mon Vieil Ami (3e arr.), qui s’inscrivaient dans un dynamisme culinaire né aux début des années 90. D’abord avec Yves Camdeborde qui s’était échappé du Crillon pour créer sa Régalade (Paris 14e arr.) en 1992. Puis, parmi d’autres, Eric Frechon, François Pasteau, Thierry Breton, Thierry Faucher et Philippe Detourbe creusent le sillon. Tous ou presque s’inspirent d’un maître : Christian Constant, alors chef du Crillon, qui ose – et le mot n’est pas trop fort ! – bouleverser les menus réglés au cordeau pour y mettre des « bas morceaux ». Yves Camdeborde, lui, cassera les codes en salle mais veillera autant à la qualité des arts de la table que celle des plats servis à des clients ravis.

Historiquement, la bistronomie est née d’un vide : l’absence d’offre intermédiaire entre le restaurant sans prétention, tout juste roboratif, et le palace guindé où le commun des mortels n’avait pas sa place. Désormais, ce vide est largement comblé puisque l’offre déborde, du fast-food de qualité jusqu’au sommet de la pyramide gastronomique. Autre changement de taille : hier alternative et oubliée tant par les guides que par la presse, la bistronomie se voit adoubée par le guide Michelin qui décerne, avec parcimonie, ses précieuses étoiles. Là où la bande à Constant a pu avancer avec une marge de liberté, hors des sentiers balisés, une partie de la nouvelle génération rentre (involontairement) dans un système contraignant. Accélération ou frein à la créativité, telle est la question.

Reste aujourd’hui l’impasse sémantique. Si le cuisinier se passe facilement des étiquettes, le littérateur, voire le client, en a besoin. Classer, c’est définir, mais aussi exclure. La nappe enlevée, les couverts simplifiés, le service désampoulé, les produits choisis et bien travaillés, quels interstices identitaires peuvent faire sens pour faire mot, telle est l’autre question ? Il n’y a guère que le Fooding qui cherche encore à renouveler le langage pour distinguer et différencier. Alexandre Cammas promet même un nouveau mot avec la sortie du prochain guide en novembre 2015. En attendant, la bistronomie est morte. Vive la suite.

par Franck Pinay-Rabaroust – Atabula.com