Christophe Hardiquest : « Si je ne suis pas en cuisine, je ferme mon restaurant. Mais ça n’est jamais arrivé. »

17 novembre 2014

« Je suis tous les jours en cuisine. Si je ne peux être là, je ferme le restaurant. Mais cela n’est jamais arrivé. » Christophe Hardiquest, chef du bon-bon, est certes moins médiatisé – moins sollicité aussi – que ses collègues étoilés de la capitale. Son style brillant et attachant tranche avec le « bling bling » d’une génération qui aime se montrer… souvent surtout à l’extérieur de la cuisine. Parcours d’un chef doué.

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Christophe Hardiquest présente un parcours professionnel assez courant dans l’univers des chefs. Souvent, ils attrapent très jeunes le virus des fourneaux. « Mes parents étaient divorcés et j’ai passé une partie de mon éducation à la campagne, dans un petit village de la province de Liège, à Thys, avec une tante. Elle tuait deux cochons par an, avait des poules. Avec elle, j’ai découvert une cuisine simple mais savoureuse: lapin aux pruneaux, basses côtes à la moutarde, vol au vent, poule au pot et ses fameuses gosettes aux cerises. J’ai grandi dans cet univers gourmand, fait de choses simples et d’excellents produits. »

Et puis, il a fallu grandir. Et aller à l’école…

Mon père ne savait pas cuisiner et m’emmenait au restaurant. Je lui annonce, un jour, que je souhaite suivre les cours d’une école hôtelière. Ainsi, à 14 ans, je me retrouve inscrit à l’internat dans cette école réputée qu’est celle de la citadelle, à Namur. J’y apprends les bases du métier. J’ai de bonnes notes, ce sont de très belles années, insouciantes. J’y apprends également la vie d’adulte et, jeune, je prends mes responsabilités. Je pratique des stages dans des Maisons comme L’Hostellerie Saint-Roch à Comblain-la-Tour ou encore dans un étoilé à Boulogne-Sur-Mer en France, « La Matelote ». À 18 ans, je termine mon cycle, lorsqu’une annonce à l’école retient mon regard: un restaurateur américain de l’État de New York demande un stagiaire. Je n’hésite pas. Ce sont trois mois très instructifs pour le travail, mais aussi pour la langue. »

C’est alors le retour en Belgique.

Je travaille alors comme commis à « L’Amandier », un restaurant d’Uccle, avant d’être engagé à l’hôtel Radisson par Yves Mattagne. Je débute en cuisine pour les banquets, puis au restaurant « L’Atrium » avant de me retrouver dans celle du célèbre « Sea Grill » où je reste un an.

Et avant d’ouvrir un premier restaurant, vous avez fait encore bien du chemin.

Je travaille encore chez Roland Debuyst dans son restaurant « L’Orangerie » de Nossegem. Il a une étoile. Je suis son commis lorsqu’il est le candidat belge au célèbre concours du Bocuse d’Or à Lyon. On s’entraîne quasi tous les jours, durant un an. À l’issue du concours, je suis sur les genoux. Après quatre mois passés à « La Villa Lorraine » où je ne me sens guère dans l’esprit de ce restaurant, je repars aux Etats-Unis. Près de deux ans, toujours dans l’État de New York. À mon retour, je fais la connaissance d’un chef d’origine française qui œuvre au restaurant « L’Épicerie » de l’hôtel Méridien de Bruxelles: David Martin, qui reprend plus tard « La Paix », emblématique brasserie située devant les abattoirs d’Anderlecht. Je rencontre, avec lui, un autre cuisinier français, Pascal Silman, qui lui est le chef du restaurant de l’hôtel Conrad. Il m’engage et j’y reste deux ans. J’y apprends beaucoup, notamment sur les produits. Il me forme bien.

Vous allez vivre une expérience curieuse, originale, avec « Voyage à travers les sens », un restaurant privé, même « clandé » pour certains, installé dans un loft.

C’est une experte en vins rares et de collection, Véronique Toefart, qui a l’idée de ce restaurant. J’y travaille un an et demi, tout seul en cuisine. Je suis même à la plonge… Je découvre alors un magasin d’ameublement dans le goulet Louise. L’endroit me séduit. J’ai 2.500 euros d’économie, pas plus, et décide d’y installer un restaurant. C’est le premier « bon-bon ». Le propriétaire me loue 150 m² de son magasin. J’y propose un menu unique et je fais rapidement une soixantaine de couverts tous les soirs. Avant de le quitter, nous sommes six en cuisine et en salle…

Voilà alors qu’arrive le moment du vrai départ avec votre arrivée rue des Carmélites à Uccle.

Pas tout de suite. Lorsque j’arrive dans ce qui est davantage un bistrot qu’un restaurant, le « Mok Ma Zwet », je me retrouve en cuisine à préparer pain de viande et stoemp. L’idée est de reprendre l’établissement. Mais je n’ai pas d’argent et les banques ne veulent pas me soutenir. Trop jeune. Après un arrangement financier avec le propriétaire, je me retrouve enfin chez moi, dans mon restaurant. Pour mon premier vrai service, en soirée, il y a 18 couverts. Et parmi eux, un certain Pierre Marcolini. Le restaurant fonctionne vite très bien. Des Guides comme Michelin et Gault et Millau – déjà – me soutiennent. Heureusement que je les ai ainsi que de bons articles de presse car je serais vite tombé en faillite. Il n’a jamais désempli. J’y reste huit ans. De six en cuisine et salle aux débuts, nous passons à douze à la fin de l’aventure. Et c’est un trio de jeunes qui reprend. Maintenant le « Va Doux Vent » est gratifié d’une étoile. L’histoire se poursuit…

Arrive ensuite le déménagement avenue de Tervuren dans l’ancien restaurant « Des Trois Couleurs », à Woluwé-Saint-Pierre.

Nous cherchons, ma femme et moi, un restaurant à reprendre. Un moment en discussion avec Jean-Pierre Bruneau pour la reprise de son établissement, cet achat n’est finalement pas concrétisé. José Tourneur cherche à remettre le sien. On s’entend bien et après quelques transformations, on ouvre en 2011, voici trois ans. Et on y est très bien. L’espace est vaste, tant la salle que la cuisine ouverte. Nous sommes mieux organisés et ma cuisine semble renforcée dans son identité. En cuisine, nous sommes dix et en salle huit, dont le sommelier Michel De Muynck, tous à temps plein, plus mon épouse et moi-même.

Pour les produits mis en œuvre, comment voyez-vous leur évolution, sur le plan de la variété et de la qualité?

J’aime imaginer des plats avec des produits non travaillés par les autres. Comme la roussette, la sardine, la seiche, les rognons de lapin, les gorges de porc et aussi le ris d’agneau, que j’aime associer aux oursins. Mais également des produits plus nobles… plus faciles à mettre en œuvre que les autres. Plus chers aussi, comme les langoustines et le homard breton, dont les prix augmentent régulièrement. Les légumes viennent de mon potager, pour le moment topinambours, chou pointu, chou de Bruxelles, racine de persil…

En consultant les avis des internautes sur Tripadvisor, on constate une grande satisfaction des clients. Sur 201 avis, 129 ont un souvenir de leur repas « excellent », 38 l’ont estimé « très bien », 24 de moyen, 7 de médiocre et même 3 d’horrible…

Je ne tiens pas très compte des avis sur internet, même s’ils sont positifs. On ne sait pas toujours si ces « clients » le furent vraiment.

Et une personne trouvait minimaliste un simple kiwi pelé (quand même) comme dessert…

Croyez-vous vraiment cette critique?

Une question qu’on vous a évidemment posée de nombreuses fois: l’origine du nom de votre restaurant?

Lorsqu’on goûtait les plats en cuisine, on disait souvent « c’est bon » et lorsque c’était encore meilleur, on disait « c’est bon bon ». Voilà, c’est simple et c’est resté.

À une époque où beaucoup de chefs se sentent des ailes de pigeons voyageurs, sollicités pour des actions commerciales ou des festivals gastronomiques en dehors de leurs murs, vous avez décidé de ne pas quitter votre restaurant.

Je suis tous les jours en cuisine. Si je ne peux être là, je ferme le restaurant. Mais cela n’est jamais arrivé…

Source: L’Echo